Dans une chronique intitulée « Une alternative au système de retraite à points : l’amélioration du monde du travail » (Nadia Antonin, décembre 2019), nous avions démontré que les systèmes de retraite à points ou à compte notionnel proposés par le Président Emmanuel Macron risquaient de conduire, à la lumière des exemples étrangers, à un appauvrissement des retraités, en particulier pour les personnes ayant des trajectoires de carrières ascendantes. Pour ces derniers, la réforme est particulièrement injuste et ne permet pas de parler d'une réforme juste et équitable. Certains économistes qualifient ce régime « d’arnaque », qui va aboutir à un appauvrissement des retraités et à un nivellement par le bas.

Ce premier projet de réforme par points, qui visait à remettre le système de retraite à plat en créant un système universel par points, a été engagé en 2019 et définitivement abandonné en 2020 à la suite de la forte mobilisation et en raison de la pandémie de la Covid-19.

Face au risque d’embrasement du climat social, le gouvernement Lecornu, a mis en pause le relèvement de l’âge légal à 64 ans, mais n’a pas renoncé à revoir le système en profondeur. Parmi les pistes sur la table : un régime universel à points.

Comment fonctionne un tel régime et quels en sont les inconvénients ?

1. Présentation du régime à points

1.1. Analyse conceptuelle

Dans un système à points, les droits sont exprimés en points – acquis au cours d’une carrière professionnelle – plutôt qu’en trimestres travaillés. Un actif cotise et accumule chaque année un certain nombre de points. Au moment de partir à la retraite ce nombre total de points est converti en pension. Dans un régime à points classique, la pension est calculée en fonction "d'une valeur du point" valable pour tous. Tous les régimes complémentaires français fonctionnent actuellement sur ce modèle comme ceux des cadres et des salariés du privé (ARCCO et AGIRC) dont les cotisations versées sont transformées en points.

Il existe une variante du système à points, dit "à compte notionnel", appelé aussi "compte individuel de cotisations" qui permet à chaque actif de cumuler un capital virtuel dans un compte individuel. Ce capital virtuel "accumulé" (une sorte de compte d'épargne individuel) sera transformé en pension de retraite grâce à un "coefficient de conversion" qui prend en compte deux facteurs : l'âge de départ à la retraite et l'espérance de vie de chaque génération au moment du départ.

L'idée novatrice du système à "compte notionnel", réside dans le fait que ce coefficient peut être établi en fonction de l'âge mais aussi de l'espérance de vie de la génération concernée.

Dans ces types de régime, le taux de remplacement n'est pas connu à l'avance, nous sommes dans un régime à "cotisations définies" et non plus à "prestations définies" comme dans le régime général, entraînant un manque de visibilité pour le salarié sur sa future pension.

Comme le souligne Romain Marié, Maître de conférences à l’Université de Lorraine, « qu’il soit par points ou par annuités, le système reste fondé sur la répartition et demeure, par conséquent, soumis aux mêmes contraintes économiques, financières et démographiques ».

1.2. Retraite à points, par répartition ou capitalisation

Conformément au Code de la Sécurité Sociale, le système de retraite par répartition assure aux retraités le versement de pensions en rapport avec les revenus qu’ils ont tiré de leur activité.

Le système de retraite par répartition peut être complété par des dispositifs de retraite par capitalisation. A titre d’exemple, le système de retraite de la Banque de France est un régime autonome de retraite par capitalisation pour son financement (voir régime des avocats), qui fonctionne sans recours à une quelconque aide de l’État.

La retraite par capitalisation est un système dans lequel les actifs d'aujourd'hui épargnent en vue de leur propre retraite. Pour Antoine Bozio (Parlons retraite, 2022), le système de retraite par capitalisation consiste en « l’accumulation d’actifs financiers ». Il écrit : « Dans un tel système, les droits à la retraite se matérialisent par un patrimoine financier, que celui-ci soit détenu par l’individu ou le régime de retraite ».

En résumé, dans le système par répartition, les travailleurs cotisent pour financer les retraites de leurs aînés tandis que dans le système par capitalisation, ce sont les travailleurs eux-mêmes qui cotisent pour leur propre retraite (ils capitalisent). D’aucuns opposent le système par répartition qui repose sur la solidarité à celui par capitalisation basée sur l’individualisation.

2. Les inconvénients de la retraite à points

2.1. Les grands perdants

- Quid de l’effacement des moins bonnes années qui existe dans le régime actuel, notamment crucial dans un contexte où beaucoup de jeunes ont du mal à s’insérer sur le marché du travail, et avec des accidents de parcours qui seraient alors lourds de conséquences ? En d’autres termes, le passage d’un calcul basé sur les 25 meilleures années dans le privé à une moyenne sur l’ensemble de la carrière pénalise mécaniquement les parcours heurtés ou ascendants.
- Certes, le régime par points permet de passer d’un statut à un autre comme salarié vers autoentrepreneur, de façon beaucoup plus naturelle. Mais pour autant, il peut y avoir des grands perdants : les personnes ayant eu une trajectoire de carrière ascendante. Un régime de retraite par points présente la particularité d’offrir une pension plus élevée aux salariés qui ont des carrières salariales moins dynamiques que la moyenne des salariés. Un tel système opère donc une redistribution implicite des carrières à forte croissance salariale vers celles à faible croissance. Le risque est donc d’avoir moins de mobilité sociale, davantage d’attentisme de la part des salariés en place que de prise de risques ! Comment éviter cela ? Peut-on songer à un système qui valoriserait, comme actuellement, certaines années de carrière plutôt que d’autres ? Par exemple, accorder des bonus de points pendant les 25 meilleures années ?
- Parmi les perdants, il faut évoquer la question des fonctionnaires qui ont choisi d’avoir un niveau de vie lissé sur l’ensemble de leur cycle de vie, avec une rémunération plus faible pendant leur vie active, mais un taux de remplacement plus élevé à la retraite. Il faut donc revaloriser leur traitement pendant la vie active, afin qu’ils ne soient pas les plus touchés.
- Enfin, les autres plus grands perdants sont les personnes qui ont déjà accompli une partie de leur vie professionnelle, et pour qui cette réforme remet en cause un certain nombre de choix (par exemple celui d’études longues avec l’assurance d’un départ à un certain âge, ou celui d’une carrière très ascendante avec les 25 meilleures années). Il faut prendre en compte le fait que cela peut modifier les incitations. Le législateur fait face à deux options : proposer une règle ad hoc de conversion des droits acquis en points, ou faire cohabiter l'ancienne formule avec la nouvelle. La dernière solution est d’autant plus souhaitable, qu’elle évite de pénaliser lourdement les personnes en milieu de carrière qui ont un profil de carrière ascendant et pour lesquelles on va prendre en compte toutes leurs « mauvaises » années dans le calcul de leurs points.

2.2. Un système qui abaisse le montant des retraites

Les opposants à la retraite à points dénoncent des risques majeurs pour la sécurité financière des futurs retraités.

Une individualisation des risques : dans le régime à points, on va retenir les années de cotisations durant toute la vie professionnelle au lieu des 25 meilleures années (10 meilleures années avant la réforme Balladur de 1993). Ainsi, la prise en compte des « moins bonnes » années (petits boulots, temps partiels imposés, etc.) pour le nombre de points acquis va mécaniquement diminuer le montant de la retraite perçue. On assistera à un transfert d’une partie du risque financier des caisses de retraite vers les individus eux-mêmes.

-Une incertitude sur la valeur du point. La valeur du point dit « de service », reste la grande inconnue de ce système à points tant vanté. Ne nous laissons pas méprendre. Aucune garantie n’est fixée ni sur la valeur du point ni sur le taux de rendement, donc ces deux données peuvent servir de variable d’ajustement pour les finances publiques. En d’autres termes, « c’est la pension de retraite qui devient la variable d’ajustement, et non plus les finances publiques ou le montant des cotisations », souligne l’économiste Jacques Pelletan. Autrement dit, un salarié sait ce qu’il cotise, mais pas ce qu’il va percevoir à la retraite.

En France, nous observons une crispation sur le taux d’épargne élevé qui, rappelons-le, constitue en partie une épargne de précaution. L’incertitude sur la valeur du point est susceptible d’accroître la crainte réelle chez les non-retraités de ne pas disposer d’une retraite suffisante pour vivre correctement. Cela pourrait les inciter à épargner encore davantage. Selon l’enquête 2024 Amphitea – Cercle de l’épargne « Les Français, l’épargne et la retraite », seuls 47 % des non-retraités aux revenus élevés estiment que leur pension sera suffisante pour maintenir leur niveau de vie.

2.3. Dans de nombreux pays européens, la retraite à points a accru la pauvreté des personnes âgées

- « En Allemagne, la retraite à points a accru la pauvreté des personnes âgées. En 2020, près de 20,9 % des Allemands âgés de 65 ans et plus vivaient sous le seuil de pauvreté, contre 12,2 % en France » précise le Cercle de l’épargne. Toujours d’après cet organisme, « ce phénomène est particulièrement aigu chez les retraités ayant travaillé dans des secteurs à faible rémunération ou avec des carrières hachées ».

- En Suède, le "big bang de la réforme des retraites à points a un goût amer, 20 ans après". Vingt ans après, 92 % des femmes et 72 % des hommes ont vu leur pension diminuer. Au total, la réforme des retraites a accentué la pauvreté des seniors. D'après les données d'Eurostat, le taux de pauvreté des retraités suédois est de 15,8 % en 2018.

- En Italie, le nouveau système de retraite à compte notionnel a eu pour effet de faire nettement baisser le niveau de la retraite par rapport au salaire d’activité. En 2015, six retraités sur 10 touchaient moins de 750 euros mensuels.

3. Conclusion

A la lumière des exemples étrangers comme les modèles allemand, suédois et italien, les systèmes de retraite à points ou à compte notionnel soulèvent de graves inquiétudes sur la précarisation des pensions. Ces régimes à points risquent de conduire à un appauvrissement des retraités, en particulier pour les personnes ayant des trajectoires de carrières ascendantes.

Dès lors, au lieu de vouloir mettre en place une réforme qui va diminuer les pensions et appauvrir les retraités, nous préconisons d'autres solutions pour assurer la pérennité du système des retraites.

Afin de parer une très mauvaise gestion des dépenses publiques, ne nous acharnons pas sur les retraités. Améliorons plutôt le monde du travail en repoussant l’âge de départ à la retraite, en construisant une société de plein emploi et en développant le bien-être au travail grâce notamment à des managers compétents.

4. Glossaire

Bien-être au travail : Situation dans laquelle un salarié ou un collaborateur prend plaisir à se rendre à son lieu de travail et apprécie les tâches qui lui sont confiées.

Compte notionnel : Compte individuel sur lequel sont enregistrés les droits à la retraite.

Plein emploi : Situation économique dans laquelle toutes les capacités matérielles de production sont requises et où toute personne qui désire travailler peut effectivement trouver un emploi.

Point : Unité de compte utilisée par la plupart des régimes de retraite complémentaire pour déterminer les droits à la retraite des assurés.

Régime à points : Régime dans lequel les cotisations permettent d'accumuler des points qui seront à terme convertis en pension. Exemples l'AGIRC et l'Arrco, régimes complémentaires des salariés.

Systèmes à "cotisations définies" : Système dans lequel le montant des droits dépend des cotisations versées, capitalisées selon un certain taux.

Systèmes à "prestations définies" : Système dans lequel le montant de la pension est prédéterminé et ne dépend pas du montant des cotisations versées.

Système de retraite par capitalisation : Système dans lequel les actifs d'aujourd'hui épargnent en vue de leur propre retraite.

Système de retraite par répartition : Système dans lequel les cotisations versées par les actifs au titre de l'assurance vieillesse au cours d'une année servent à payer les pensions de retraite de cette même année.

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