Hyman Minsky a montré que la croissance entrainait infailliblement une augmentation irraisonnée du crédit et à un moment (le Moment Minsky) le public s’aperçoit que l’on a dépassé les normes valables de l’endettement, la « confiance » disparait, le système s’effondre et c’est la « Crise ». Cette situation préexistait au début du XXIème siècle provoquant des krachs à répétition : crise de l’informatique en 2000/2002, crise des « subprimes » en 2007, crise de l’euro en2009 etc...
En outre le développement remarquable de l’offre de produits industriels crée une situation qui rappelle celle de l’entre deux-guerres : Il y a un surplus de production car on avait fortement investi en fin du siècle dernier et la demande « solvable » ne suit pas. Cela entraîne un ralentissement général des investissements.
En fait grâce à la forte création monétaire qui compense le ralentissement de la vitesse de rotation de la monnaie laquelle est due au manque de confiance entre intermédiaires, la reprise est amorcée aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne et au Japon. Mais cette politique a cependant un revers : que va-t-on faire de cette masse monétaire lors de la reprise économique ?
Aussi peut-on actuellement considérer qu’il y a trois crises en cours ou à venir : le manque d’investissements de production, la crise de la Zone Euro et en particulier celle de la France et l’effet mal contrôlé de l’augmentation mondiale de la masse monétaire.
I. Le manque d’investissements.
Les Etats-Unis sont en pleine reprise. On envisage une croissance de 3 % pour 2014.Le chômage tend vers 6,50 % de la masse de personnes employées (6,7 % actuellement). Pourtant si l’on compare 2007 et 2014 on s’aperçoit que seuls certains secteurs dépassent leurs maxima d’avant la crise (semi-conducteurs, ordinateurs et heureusement le pétrole et l’automobile), par contre l’industrie des métaux, l’aérospatial et les équipements de communication sont encore en baisse. En fait l’investissement reprend mais c’est surtout un investissement de productivité car le taux d’utilisation des investissements dans l’industrie reste bas (77,2 %) même s’il est en hausse sensible par rapport à 2009 (64 %) (le taux de plein emploi des machines sans inflation est d’environ 85 % ).
En Allemagne la production stagne ; L’effort d’investissement, très important, est essentiellement porté sur l’amélioration de la productivité. La situation en France et dans les pays de l’Europe du sud est tout à fait comparable, malgré la reprise économique en Espagne et Portugal et un peu en Italie.
L’indication d’une telle situation se retrouve dans l’abondance d’O.P.A. car les entreprises préfèrent des développements externes à un effort d’investissement beaucoup plus risqué. Les prix se tendent. Ainsi « Facebook » a payé 19 milliards de dollars pour racheter une société à croissance extrêmement rapide « Whats App », plateforme qui en 5 ans a réuni 450 millions d’usagers. Beaucoup d’analystes se demandent si, à ce prix, l’investissement peut être rentable, la société ayant une très faible rentabilité. On peut comparer en effet ce rachat à celui qu’a réalisé la société japonaise « Rakuten » de la société israélienne « Viber » un peu plus petite que Whats App pour « seulement » 900 millions de dollars.
En fait le problème est « Wicksellien ». On a surinvesti pendant la période de prospérité des dernières années du siècle dernier (analyse Minsky) en considérant que la mondialisation apporterait une demande « illimitée » tandis que la demande des consommateurs était limitée par leurs pouvoirs d’achat en très faible augmentation. Cette situation s’est créée malgré les efforts de la plupart des gouvernements pour développer la masse monétaire, car cet effort n’entraîne pas une véritable amélioration du niveau de vie des populations et par conséquent joue un rôle mineur pour assurer l’augmentation de la demande solvable.
La reprise de la croissance aux EUA montre que la crise de l’investissement est, très lentement il est vrai, en voie de disparaitre.
II. La crise spécifique de la Zone Euro
Si la plupart des pays riches pratiquent une politique expansionniste de la masse monétaire, la Zone Euro a une position opposée. La B.C.E. poursuit une politique désinflationniste classique en limitant ses émissions monétaires à des crédits de 1 à 6 mois (LTRO : Long term financing operations) et en « sclérosant » ses émissions en incitant les banques à déposer chez elle des montants équivalents. Bien plus si elle a eu le courage d’émettre pour 1 trillion d’opérations de refinancement à plus long terme (V.L.T.R.O.s) à 3 ans on constate qu’au lieu d’aider l’économie les débiteurs ont tendance à rembourser à l’avance les sommes prêtées (Plus de 50 % au bout d’un an et demi).
Cette politique de la Zone Euro est aggravée par le renforcement des « contrôles ». Bâle III a été décidé par le G 20 pour le Monde entier, mais « reporté à une date ultérieure non précisée » aux U.S.A. Solvency 2 a été réservé aux Européens, la Loi Sarbanes –Oxley aux Américains. Ces mesures ont tendance à réduire les possibilités de prêts à long terme aux entreprises. Cela pénalise spécialement la France car le financement des investissements est essentiellement bancaire et les possibilités d’accès aux marchés sont limitées par « l’effet d’exclusion » que représente l’Assurance Vie. De plus « l’autofinancement » est limité par la faiblesse de marges bénéficiaires des entreprises.
L’Allemagne reste le grand exportateur vers la Zone Euro et ne réutilise pas les sommes reçues pour des prêts ou des investissements dans les pays de la Zone, réduisant encore la masse monétaire disponible dans les autres pays de la Zone. Certes il y a une certaine échappatoire, dans la mesure où les autres pays deviennent ses débiteurs involontaires dans le cadre du système de compensation « Target 2 ». La dernière évaluation de ce « trou » remonte à plus de 6 mois et était alors de 640 milliards d’euros.
La solution pour sortir de cette crise ne consiste pas dans une augmentation des avantages sociaux (salaire, sécurité sociale) car cela rendrait les économies européennes encore plus incapables de concurrencer les pays tiers (d’où la baisse relative des salaires allemands alors que l’économie est en plein essor). Cela oblige nos pays à ne chercher à obtenir une croissance économique que par l’amélioration des exportations (visibles et invisibles.). On est alors obligé de pratiquer des politiques d’austérité difficilement supportables (c’est à dire d’imiter l’Allemagne) et d’assurer le développement économique par une amélioration de la productivité. Pour cela il faut réduire le budget de l’Etat et de ses satellites et réaliser une baisse des impôts pour les secteurs industriels (et surtout exportateurs).
Cette politique a trois conséquences :
1) Elle est politiquement extrêmement dure, humainement parlant, car elle provoque une baisse de pouvoir d’achat du public et donc entraîne des difficultés pour les entreprises travaillant exclusivement pour le marché intérieur. Ainsi les pays européens qui ont dû pratiquer une politique rigoureuse d’austérité, ont redressé leurs Balances des Paiements (Espagne 10 milliards de dollars et Italie16 milliards.) ou sont dans la bonne voie (Grèce) ont subi en 2013 des baisses de P.N.B.(- 2,2 % en Italie, -3,6 % en Grèce, -1,2 % en Espagne ).
2) L’Allemagne n’en souffre pas ayant été jusqu’à présent le seul pays à pratiquer une telle politique face au « laxisme » des autres pays de la Zone. Mais après une période de hausse de salaires elle se retrouve cette année avec une balance des Comptes somptueuse (267,6 milliards de dollars d’excédent de Balance des Paiements) mais pour conserver cette situation elle a dû pratiquer en 2013 une hausse de salaire sensiblement inférieure à l’inflation (hausse de 1,3 % face à une hausse des prix de 1,5 %).
3) Ainsi cette politique de développement par les exportations ne peut mener qu’à un échec. Comme le faisait remarquer Keynes à Bretton Woods, il est aussi malsain d’avoir une Balance Positive que Négative. Mais comme l’Europe est dépendante du reste du monde pour un certain nombre de produits minéraux et industriels, cette politique reste malheureusement la plus efficace. Il faudrait cependant y ajouter une nouvelle part d’émission monétaire à « Très Long terme » pour assouplir le système tant que la « Confiance » ne revient pas. Ceci amenait une accélération de la vitesse de rotation de la monnaie et on pourrait alors suivre l’exemple anglais qui a l’air de se révéler très efficace : réduire les frais de la Fonction Publique, réduire les impôts des Sociétés et augmenter les émissions monétaires.
III.) Du mauvais usage de la « masse monétaire » non conventionnelle.
Le développement de la masse monétaire par les banques centrales de divers pays est indispensable pour compenser la réduction de la vitesse de rotation de la monnaie due à la crise de confiance existant entre les banques.
Celles-ci préfèrent virer leurs fonds liquides à la Banque Centrale plutôt que la prêter à leur confères. (Même la B.C.E. y a eu recours, très timidement, mais espère faire plus si le besoin s’en faisait sentir : La création de « transactions fermes » n’est pas encore activée (OMT : Outright Monetary Transactions).
Il serait utile que les fonds ainsi créés soient utilisés par les entreprises pour investir (Politique de l’Offre) et/ou par le public pour augmenter une demande (politique de la Demande) ce qui pourrait inciter les entreprises à investir. Malheureusement toute hausse des salaires en pays riches conduit plutôt les ménages à acheter des produits étrangers moins coûteux ce qui aggrave les déficits de la balance des Comptes sans relancer vraiment l’économie car les coûts de production en pays émergents restent sensiblement plus bas que ceux des pays riches avec un degré de développement technologique tout à fait comparable (et quelquefois supérieur).
Mais surtout l’émission monétaire forcée peut être dévoyée vers des emplois malsains. Il se crée une inflation irraisonnée dans les domaines où la concurrence manque : un tableau de « Bacon » vendu 146 millions de dollars, un appartement du centre de Londres loué 200.000 dollars par mois, le rachat de « Whats App » pour 19 milliards de dollars sont la preuve d’un certain malaise dans l’usage des fonds non conventionnels.
Mais il y a pire. Une partie importante des fonds ainsi créés, est utilisé pour faire du « portage de devises » (carry trade). Ceci consiste à transférer des fonds empruntés aux EUA où les taux du Marché Monétaire sont très bas (environ 1%) vers des pays où les taux sont plus élevés. On profite même d’un avantage supplémentaire : ce flux de capitaux fait monter la valeur des devises achetées au détriment du dollar. A contrario la crise de l’Euro de 2009 a incité les détenteurs de ces fonds à les rapatrier d’urgence, même à perte, aux EUA par manque de confiance dans le monde non-américain. A l’heure actuelle, il en est de même, la reprise américaine provoque un retour brutal des fonds en provenance des pays émergents vers les EUA. Ces mouvements très rapides rappellent les « capitaux flottants » de l’entre-deux–guerres et ces mouvements sont aggravés par les techniques actuelles de transmission.
Conclusion
Ainsi on s’aperçoit que la « main invisible » d’Adam Smith ne résout pas tous les problèmes. Dès qu’il y a euphorie économique, la production se développe sans certitude qu’elle trouve en face d’elle une consommation solvable. La solution à ce problème est double on peut améliorer la demande en augmentant les salaires, mais la mondialisation s’y oppose car c’est un facteur de destruction de la compétitivité. On peut aussi faire appel à la « planche à billets ». La Banque centrale joue le rôle de « prêteur en dernier ressort » soit par endettement de l’Etat, soit par de la pure création monétaire (monétisation de la Dette). Cette dernière solution sous ses deux composantes est certainement la meilleure si l’on veut éviter les excès de l’entre-deux–guerres, c’est à dire des taux de chômage de plus de 30 % de la population active.
La solution allemande pratiquée dans la Zone Euro est une solution bâtarde mais qui a un côté positif : l’obligation pour tous les Etats de la Zone à rechercher l’amélioration de la compétitivité des entreprises. Pour réussir il faut que toute la Zone se mobilise jusqu’à ce que l’on trouve par l’amélioration de l’innovation et la réduction du coût des Etats la possibilité de compenser les bas-coûts de production des pays neufs.
Le problème le plus difficile à résoudre est celui des « capitaux flottants ». Il existe trois solutions à ce problème :
1) Eponger l’excès de monnaie en élevant les taux, solution difficile car on a du mal à quantifier l’importance de la ponction monétaire. On a voulu pratiquer cette politique en 1937, mais cette hausse a été trop forte et a entraîné une reprise de la dépression.
2) Faire une forte inflation pour faire perdre à cette masse monétaire de son importance.
3) Améliorer l’innovation et assurer un développement de la culture et l’enrichissement des populations des pays émergents pour rééquilibrer les balances des comptes de tous les pays.
En fait on devrait réaliser une politique de style « Cameron » à l’échelon mondial : résorber les excès de lourdeur des administrations, relancer la masse monétaire jusqu’à ce que la « confiance » revienne et assure la reprise économique, obtenir des hausses de salaires dans les pays émergents et laisser exploser sans vrais dégâts économiques les mini-bulles comme celle des objets d’art.
Les trois crises actuelles, sommes-nous près de leur fin ?
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