Introduction

Il y a essentiellement trois façons d’évaluer une entreprise, chacune ayant de nombreux défauts.
1 L’évaluation par les actifs. Cela consiste à utiliser les prix d’achats des différents biens, créances et dettes corrigés par les amortissements correspondant à des pertes de valeur, mais évalués en hausse pour tenir compte des gains dus à l’inflation ou à  des hausses de cours. Cette méthode permet de déterminer la «fair value». Mais les règles d’amortissement des titres varient suivant la nature du placement (titres de patrimoine et de portefeuille. Cela va à l’encontre d’une politique générale (les I.F.R.S) qui voudrait rendre comparables toutes les comptabilités des sociétés.
2 On peut envisager un mode de valeur en escomptant à un taux d’intérêt préfixé, les résultats futurs espérés de la société .La valeur dépend alors du taux choisi et surtout des prévisions de bénéfice de la société.
3 Le Cours de Bourse qui donne une Opinion du Public sur la valeur d’une Société. On doit alors revenir à l’analyse de John Maynard Keynes. Selon lui, le cours de bourse est comparable à un concours de photos de « pinups ». Pour gagner il faut choisir non pas la plus belle mais celle que les autres compétiteurs vont préférer. Keynes ajoute que pour réussir il faut choisir celle que les compétiteurs vont penser que leurs rivaux choisiront et ainsi de suite…
Dans ce contexte on voit que le cours de bourse reflète plus une opinion qu’une réalité économique. Mais pour pousser plus loin l’analyse il nous faut voir comment on a déstructuré les marchés, au risque que  le « Cours de Bourse » n’ait plus de sens et comment, par le développement des analyses économique et financière, on a essayé de réparer les dégâts dus à l’évolution des structures.

I. La morcellisation des Marchés

 1.1 La notion de « Marché Continu »

Pour qu’un Cours de Bourse représente bien l’opinion que le public a de la valeur d’un titre, il est utile que son marché soit « étoffé » c’est à dire qu’il y ait suffisamment d’ordres de ventes et d’achats. Aussi,  si le marché d’un titre est peu important, il est nécessaire de réduire le nombre des différentes transactions pour concentrer le plus grand nombre d’ordres au moment d’une fixation de cours. Ainsi le « marché continu » ne devrait exister que pour des valeurs à très large marché,  faute de quoi les cours sont basés sur un ou deux échanges et n’ont aucun sens.  Or on a développé le « marché continu » au-delà du raisonnable créant peut-être un peu plus de transactions mais une plus forte volatilité rendant moins crédible le « cours de Bourse ».
1.2 - Le développement des Produits Dérivés
On a créé des «  produits dérivés » pour permettre la couverture des portefeuilles comme on les avait inventés au XVI ème siècle pour assurer la protection des producteurs agricoles et miniers. La « Spéculation  » assure la contrepartie de ces opérations. Mais ces produits dérivés sont devenus de plus en plus complexes permettant d’ajouter à la spéculation traditionnelle une forme nouvelle de « jeu » qui consiste à rechercher les failles dans les opérations spéculatives des autres opérateurs. Bien entendu cela modifie les cours de bourse puisque s’ajoutent aux ordres d’investisseurs sérieux des opérateurs qui prennent d’autant plus de risques qu’ils « couvrent leurs opérations ».
1.3 - La « collectivisation »  de l’épargne
Il existe à l’heure actuelle une forte tendance à « collectiviser » l’épargne .Les opérations de la « Veuve de Carpentras » ne sont pas rentables pour le secteur bancaire ni pour les gestionnaires de portefeuille. Il en est de même pour les entreprises très heureuses de vendre des « blocs de titres »  sans se douter de leur dépendance à quelques importants donneurs d’ordres et, comme les gérants institutionnels sont beaucoup plus mobiles que les particuliers, cela accélère la volatilité., et par conséquent rend plus instable la notion du Cours de  Bourse
1.4 - La Directive M.I.F.et la déstructuration du Marché Financier 
Plus grave est l’application en Europe de la technique américaine des « Electronic Communications Networks (E.C.N.) » ou dans un langage européen les « Multilateral Trading Facilities (M.T.F.) » lancés par la Directive « Marché d’Instruments Financiers (MIF) ». Cette directive crée à côté des « Marchés Réglementés » (les bourses traditionnelles) des Marchés informatisés, cassant ainsi l’unité des marchés. Cela est même aggravé par l’existence de « Plateformes opaques / Dark Pools  » peu contrôlables. Ces opérations «  hors marché » ne sont déclarées qu’avec retard. Ces opérations  ne devaient  concerner que des «  blocs » importants de titres « sorties » des marchés pour ne pas les influencer, mais leur montant a tendance à se réduire progressivement. Par ailleurs les Banques peuvent « internaliser » les ordres de leurs clients et même  en assurer la contrepartie, ce qui diminue encore le nombre des ordres qui viennent sur le marché.

II. Progrès dans l’analyse économique et financière.

 Dans le même temps et  sans lien avec la déstructuration du marché , on constate que les opérateurs de Bourse ont de plus en plus tendance à chercher à évaluer la valeur réelle des actions et à passer leurs ordres de Bourse en fonction de leur analyse. Les économistes, d’autre part essayent de déterminer des « lois »pour mieux comprendre la «  structure fondamentale » du marché.

2.1 - L’analyse graphique

 C’est l’approche la moins « scientifique ». On part de l’idée que les cours intègrent la réalité économique sous-jacente et que les fluctuations passées permettent de déterminer l’avenir. Les opérateurs ont l’œil fixé sur le graphique représentatif des fluctuations d’un titre en bourse  et en arrivent  à ne plus savoir quelle est  l’activité de la société  étudiée. A la limite, on veut ignorer si Michelin fait des savonnettes ou vend de l’épicerie fine. La théorie économique dite du « mouvement brownien des cours de bourse » remet complètement en cause l’aspect théorique de cette » analyse. Mais elle reste importante dans la mesure où elle influence un grand nombre d’opérateurs. Certains courtiers /traders pratiquent le Trading haute fréquence, s’appuyant sur des opérations éclairs /flash orders ». Ces opérations ont pour but de laisser un ordinateur intervenir tout seul, à très grande vitesse (moins de 2 millisecondes), dès que la machine constate un mouvement inhabituel sur le Marché. Ce type d’opération est à l’origine du Krach du 10 Mai 2010 dû à un ordre inhabituel non prévu par les autres ordinateurs).

2.2 L’analyse financière

On appelle « price-earning  ratio (P.E.R ) »  le ratio du cours de bourse divisé par le Bénéfice net, on se fait ainsi une idée de la valeur estimée d’une société. Malheureusement il n’y a pas de parité parfaite. Elle dépend des circonstances. Un P.E.R de 10 est « normal » pour une société moyenne. Il monte à 20 pour une société « innovante » en forte croissance et tombe à 5 pour une société dont l’avenir parait peu prometteur. Mais quand le marché est mauvais le P.E.R recherché  baisse beaucoup, à contrario en période d’expansion le P.E.R moyen monte. Cette analyse fait ressortir le caractère psychologique des marchés tout en étant un bon repère. Il y a actuellement un bon exemple du caractère imprécis de ce critère. Le Professeur Robert Shiller de Yale a créé une forme dynamique du PER le « Cyclically adjusted price earning multiple (CAPE) » par lequel il « prouve » que tous les marchés sont « surévalués de 62 % ». En réponse, le Professeur Jeremy Siegel de Wharton explique que les données prises en compte par Robert Shiller sont erronées et qu’une étude approfondie du CAPE conduit à accepter les cours actuels comme normaux. Il établit un tableau des Cours de Bourse depuis 1881 qui montre que malgré des fluctuations souvent fortes le cours évolue autour d’un montant constant (un peu plus de 15 fois le bénéfice net avec un price earning légèrement supérieur au P.E.R actuel 13 ). Malheureusement il s’est créé une notion malsaine : celle du « consensus ». A la veille d’une nouvelle attendue (bénéfice, résultats de négociations etc) les analystes communiquent entre eux et déforment le Marché en attribuant tous aux sociétés le même résultat prévisionnel. Cela fausse le Marché jusqu’au jour où la nouvelle est annoncée. De toute façon, l’analyse financière a permis de rapprocher les cours de bourse de la valeur réelle des titres en influençant dans le bon sens l’opinion du public.

2.3 L’analyse économique

De nombreuses théories ont vu le jour depuis 1952 où a été publié l’article d’Harry Markowitz « portfolio selection ».Les deux principales, concernant les cours de bourse sont le Modèle de Marché et la notion d’Efficience du Marché.

1 - Dans le premier cas, on essaie de comprendre dans quelle mesure le  Cours de Bourse d’une Valeur a un lien économique avec la réalité. Il s’agit alors d’une valeur relative en fonction de la situation du marché. On considère que le cours d’une valeur est dépendante de ses qualités intrinsèques (appelé alpha) et d’une certaine proportion (appelée Bêta) de l’indice de Marché appelé « M ». Bien entendu l’analyse d’Alpha pose un problème  comptable.  Doit-on faire une évaluation des actifs à la valeur du jour (évaluation ex-post) ou en « actualisant » les revenus espérés de la société (analyse ex ante) ? Bêta est instable. On connait sa valeur passée mais on ignore tous les évènements imprévus qui peuvent modifier les comportements du public. Quant à « M  » (indice d’un Marché), il pose naturellement le problème de toute prévision en matière d’analyse économique. Si parfaite soit-elle, elle ne peut prendre en compte les éléments «politiquement  » imprévisibles.

2 - Analysée par Eugene Sharpe en 1963 la notion d’efficience part d’une vision tout à fait différente. Elle pose comme postulat que l’information est la même pour tous les opérateurs et par conséquent la Bourse fluctue en fonction de l’évolution  de la Société. Sharpe a imaginé « trois degrés d’efficience », mais même le plus faible (le cours reflète à tout moment la situation telle qu’on peut la connaitre) est sujet à de nombreuses critiques. Ainsi en 1970 j’ai assisté au retrait de Douglas Aicraft de la liste des valeurs recommandées par la Citicorp et sans aucune autre raison car le titre avait perdu près de 50 % de sa valeur.

Conclusion

Au terme de cette étude on peut faire plusieurs constatations

1 - Il y a un effort d’amélioration de la véracité économique des cours grâce au développement de l’analyse économique. Ainsi les Conseillers financiers incitent leurs clients à rechercher des cours qui se rapprochent le plus possible  de ce que l’on pourrait appeler la valeur réelle, en vendant les titres qui peuvent paraitre trop chers et en achetant ceux jugés trop bon marché .
2 - Malheureusement, il y a chez les Gérants de Portefeuille et Conseillers Financiers le désir d’améliorer les gestions de leurs clients en les  incitant à rechercher des titres susceptibles de subir des « Offres Publiques d’Achat (O.P.A.) » .Comme dans la période actuelle il y a à la fois une forte abondance d’argent et un faible désir d’investir, les Entreprises ont  tendance à essayer de racheter leurs concurrents plutôt qu’à améliorer leur croissance interne. Ils sont alors prêts à payer des sommes anormalement élevées .Cela a pour effet de déformer le marché.
3 - La multiplication des cours sur les marchés officiels, la création de marchés concurrents (les M.T.F ;) les Dark Pools , le droit pour les Banques « d’internaliser leurs ordres » tout cela aggrave la volatilité et réduit la qualité des transactions. Lorsqu’un Comptable évalue une Société, il faut au départ une évaluation en fonction des actifs et une autre en fonction des bénéfices escomptés, la Bourse lui sert  simplement de critère d’évaluation en fonction du «  PER moyen » du secteur de la société étudiée.
On peut donc dire que malgré ses défauts, la Bourse est un point de repère valable de l’évaluation des sociétés. En outre l’analyse de Jeremy Siegel montre que peu à peu le P.E.R. moyen permet de suivre parfaitement le développement des entreprises et cela donne à la Bourse la possibilité de fournir une assez bonne évaluation des titres en tenant compte des fluctuations temporaires des marchés.