L’économie française, comme celle de la plupart des pays occidentaux est caractérisée depuis la crise de 2007-2008 par un important renouveau économique. La création d’entreprises (580.000 en 2009), souvent de très petites entités (T.P.E.), a pour contrepartie un nombre élevé de faillites (un peu plus de 50.000 par an). Depuis le dernier trimestre 2010, la situation économique s’améliore, le chômage commence à diminuer.
Les Autorités Financières restent traumatisées par l’ampleur d’une Crise qu’elles ont été incapables de prévoir. Elles la traitent selon des recettes issues de théories économiques parfois critiquables. Ainsi, les Américains semblent réussir à relancer leur économie grâce à une politique néo-keynésienne d’émission monétaire. Par contre, l’Europe a subi l’influence d’Hayek et a pratiqué une politique plus conservatrice. Cela a provoqué la crise actuelle de l’Euro, puisqu’un certain nombre de pays se sont trouvés en manque de liquidités.
Dans tous les cas les Politiques sont d’accord pour renforcer considérablement les réglementations.
Pour en comprendre les effets sur l’économie française, il nous faut analyser la situation, envisager les conséquences de ces mesures, l’évolution de la Bourse et voir comment on pourrait compenser sur le plan interne les dégâts de la politique financière internationale.
I) La situation française
Si les investissements totaux en France en 2009 (derniers chiffres publiés par l’I.N.S.E.E.) atteignaient 392 Milliards, 100 milliards étaient utilisés par les ménages essentiellement pour l’habitat privé. Les investissements publics représentaient 63 milliards. L’autofinancement des entreprises était de 139 Milliards Le reste était fourni par de l’endettement bancaire et l’appel au marché. Mais on doit ajouter également les investissements étrangers en France soit 42,9 milliards et retrancher les investissements à l’étranger qui ont la même année atteint 105,9 milliards (à noter que ce déficit d’investissements en France : 63 milliards est à peu près équivalent à celui de la balance commerciale : 54 milliards). Au total le financement externe des entreprises est pour 63 milliards réalisé par un appel au public institutionnel et privé et pour 157 milliards soit les 2/3 par des prêts bancaires et d’assureurs. (la Bourse ne pratique presque plus son rôle pourtant historique de collecteur de fonds.)
En résumé les trois secteurs, Banque, Assurance et Bourse, apportent, plus ou moins, leur pierre à l’investissement ; le secteur bancaire fournit un peu de fonds aux entreprises en utilisant leurs dépôts (parfois transformés en investissements à long terme), mais surtout organise des souscriptions à des obligations et à des titres à moyen terme. Les assureurs investissent une partie de leurs « réserves » en actions et obligations. Ils sont les seuls vrais investisseurs sur le Marché, bien qu’ils ne représentent qu’une faible part des transactions, car le plus gros des opérations est réalisé par des spéculateurs internationaux : les « arbitrageurs ».
Le montant des appels au marché financier (Introductions et Augmentations de capital) a été faible en 2009, mais, vu l’importance de l’épargne privée (16 % du produit national brut P.N.B.), il y aurait des possibilités non négligeables de faire appel aux « ménages ». Le montant total de l’épargne accumulée représentait en 2007 (rapport Olivier Garnier et Alain Thesmar de 2009) 10.700 milliards d’euros, l’épargne financière 3.600 milliards répartis entre les dépôts 29 %, les actions et obligations 18 %, l’assurance-vie 36 %. Comme le public français est très sensible à la fiscalité, il suffit d’offrir un avantage fiscal pour trouver des fonds. Ainsi, la baisse de l’I.S.F en faveur de la souscription à des titres de petites et moyennes entreprises a permis de collecter près d’un milliard d’euros.
II) les mesures prises par les Autorités Financières
Les Américains ont répondu à la crise par trois séries de mesures :
1) une relance par le déficit budgétaire : Quantitative Easing (Q-E) 1 et 2
2) quelques décisions d’augmentation de réserves .Ils ont accepté Bâle III mais il subsiste un certain manque de confiance des étrangers dans la mesure où les Américains n’ont toujours pas voté Bâle I. et sont décidés à retarder Bâle III
3) la Loi Dodd-Frank a surtout décidé d’augmenter la « responsabilité » des intermédiaires. (mesures pour responsabiliser les experts-comptables, les sociétés de notation, obligation de conserver 5 % des produits titrisés, etc.)
En Europe existe une forte tendance à réduire le rôle de la Banque Centrale Européenne comme « Prêteur en Dernier Ressort » ce qui rappelle un peu les desiderata de certains membres du « Tea Parti » de vouloir supprimer la « Federal Reserve ». Aussi a-t-on commencé une politique de fonds de garantie pour les Etats en difficulté.
Par contre pour éviter que des banques ou des Assurances (ce qui n’a pourtant pas été le cas) mettent en difficulté l’Economie de la Zone Euro, on a renforcé les demandes de « réserves » par deux décisions qu’il nous faut analyser : Bâle III et Solvency II
A) Bâle III et ses avatars
Le désir « politique » de réduire l’importance des banques centrales, la peur des Autorités de ne pas être à la hauteur si une nouvelle Crise apparaissait, et surtout l’échec des premiers « Stress Tests » chargés de ramener la confiance ont entraîné la création d’un système très contraignant, aggravé par les nouveaux stress tests et provoquant un effet « d’exclusion » sur le marché obligataire.
a) les principales mesures
Elles portent sur deux types de ratios de « Solvabilité » et « Liquidité » mais qui l’un et l’autre présentent une accumulation de règles souvent exagérées, mais dont l’effet est un peu amorti par les délais « d’adaptation » qui ont été consentis (application fixée entre 2013et 2019) :
1) le ratio de solvabilité comprend le « Core Tier ONE » placé en fonds d’Etat et actions de capital de l’entreprise, qui passe progressivement de 2 à 4,5 %. S’y ajoutent le reste du « Tier ONE » de 1,5 %, le « Coussin de Sécurité (Capital Conservation Buffer) » qui doit progressivement atteindre 2,5 %, ce qui reste de « Tier TWO » soit encore 2 % (total 10,5 %); mais ce n’est pas tout. On envisage dès la reprise économique un « Coussin Contracyclique » compris entre 0 et 2,5 % et une taxe spéciale sur les établissements systémiques (dont personne jusqu’à présent n’a défini les contours).
Bien plus les postes d’actifs sont affectés de coefficients qui favorisent les opérations classiques de crédit mais sont très dures pour les produits purement financiers. Mais comme ces produits assurent une part importante de la rentabilité des Banques, celles-ci vont pénaliser, par des hausses de frais, les opérations classiques ;
2) le coefficient de liquidité est bien plus dangereux. Il comprend un ratio à un mois le « Liquidity Coverage Ratio LCR » selon lequel toute banque doit pouvoir se suffire à elle-même en cas de crise systémique ce qui l’oblige à détenir un certain montant de titres d’Etat (sans que l’on précise le risque de faillite qui peut intervenir…même dans la zone Euro) (application prévue en 2015) et le même type de ratio à un an le « Net Stable Funding Ratio N.S.F.R. » (prévu pour 2018.) ;
3) A ces mesures s’ajoutent les nouveaux « stress tests » où l’on demande aux banques de pouvoir faire face à une détérioration de l’économie de 5 %, à une baisse des marchés boursiers de 15 %, à une hausse des taux de 75 points de base et à une dépréciation du Dollar de 4 % ( mais on admet que les fonds d’Etat des pays de la Zone Euro ne présentent aucun risque !).
Tout cela a pour conséquence une forte diminution des possibilités des banques de prêter ou même de trouver des fonds extérieurs pour leurs clients puisqu’il se produit un effet « d’exclusion », les fonds existant sur le marché étant absorbés essentiellement par les Banques pour remplir leurs différents fonds de Réserve ou pour répondre aux règles de liquidité ,de solvabilité ou les Stress Tests.
Ainsi on aura un double résultat : une quasi-impossibilité pour les petites structures de trouver des fonds, les rares fonds disponibles étant réservés aux grandes sociétés considérées souvent comme sans risque, et le coût des opérations sera aggravé pour faire face aux moindres possibilités des banques de faire les opérations les plus rentables.
B) Solvency II et les études quantitatives d’impact Q.I.S
Le secteur des Assurances a, à l’heure actuelle, des réserves mathématiques de 1350 milliards d’euros avec un flux annuel de 120 milliards, même si la collecte brute a baissé de 12 % en 2011 (tandis que la collecte nette, cotisations – prestations a été réduite de 41 %). Cette décollecte semble due à une « hausse des dépôts » dans les livrets A et de développement durable, car le public a l’espoir d’une hausse de taux à 2 % (taux qui reste non imposable.).
Seulement % des réserves vont actuellement vers les Actions, cotées ou non cotées.
Bien que les Compagnies d’Assurance européennes aient passé sans difficulté l’épreuve de la Crise Financière, les Autorités de Contrôle ont décidé de renforcer la réglementation avec la « Directive 2009/138/EC du 25 novembre 2009 » avec application dès le 1er janvier 2013, provoquant une panique en Europe. AXA a prétendu qu’en quelques années les compagnies d’assurances européennes avaient vendu pour 400 milliards d’Euros d’actions.
Cette Directive comprend trois piliers :
1) Réglementation de la Capitalisation suivant les risques pris
Les Compagnies peuvent créer des modèles internes ou faire appel, pour définir la « Formule Standard S.C.R (Solvency Capital Requirement) », à des organismes extérieurs. La première solution est beaucoup plus coûteuse. Aussi seules les très grandes compagnies peuvent l’utiliser. Mais c’est ensuite moins contraignant. Les exigences de Fonds Propres sont réduites de 20 % ce qui majore l’excédent de S.C.R. de 6 % tandis que les sociétés qui font appel à des aides externes voient réduire leur excédent de S.C.R. de 4 % ;
2) Augmentation du niveau de protection du risque (Capital Minimum ou MCR) ;
3) Développement de la Transparence.
Les deux critères de Capital Cible S.C.R. et de capital minimum M.C.R.posent beaucoup de problèmes aux compagnies. L’étude d’impact Q.I.S.5 portant sur les années 2008 et 2009 a montré que pour 70 % des sociétés l’excédent de S.C.R. dépassait 395 milliards et celui du M.C.R 676 milliards. Mais le nouvel organisme de contrôle l’E.I.O.P.A. faisait remarquer que 15 % des Sociétés n’atteignait pas leur S.C.R ; et même 9 % étaient au dessous de 75 % de leur S.C.R.Par ailleurs le système a une très grande volatilité.
Ainsi le QIS 5, sur la base des années 2008 et 2009 montre que la capitalisation cible est de 179 % des besoins des entreprises. Or le même calcul effectué en 2010 montrait une chute puisque, sans que les entreprises aient démérité, le ratio était tombé à 104 %. Si les cours obligataires continuaient à baisser on pourrait être très vite dans l’obligation d’augmenter les capitaux propres des sociétés.
Cette situation pose des problèmes « ubuesques » dans la mesure où les mutuelles n’ont pas la possibilité d’augmenter leurs fonds propres.
Par contre, les Compagnies d’Assurance et les Mutuelles sont obligées de tenir compte des coefficients de « réserves » différents suivant les types d’actifs qu’elles détiennent. Les fonds d’Etat, même grecs, demandent une « couverture » beaucoup plus faible que les actions cotées et surtout non cotées. Les Compagnies sont donc contraintes de réduire considérablement leur portefeuille d’actions. Cela devrait encore augmenter la part de titres détenus par les fonds de pension qui ne subissent aucune des règles de Solvency II. Or la France est presque dépourvue de « Fonds de Pension » ce qui aggrave sensiblement notre dépendance à l’égard des étrangers.
C) La bourse peut-elle jouer un rôle
A l’époque de Keynes et de Schumpeter, la Bourse avait trois buts : la collecte de fonds, la défense de l’épargne et l’évaluation des entreprises. Tout cela s’est modifié peu à peu :
Le rôle de collecteur de fonds a disparu, d’abord aux U.S.A. (mais dans ce pays les fonds de pension assurent la Collecte des fonds nécessaires à l’Economie), puis en France il y a quelques années. En effet les Introductions et augmentations de Capital sont insuffisantes pour compenser les retraits d’entreprises.
La notion de « défense de l’épargne » a été remplacée par le besoin de liquidité des institutionnels.
L’évaluation des entreprises a été considérablement améliorée par le développement de l’analyse financière, même si le caractère moutonneux des intermédiaires les incite parfois à se retrancher derrière un « consensus » dont on préfère ignorer l’origine.
Si après la « Crise Financière », on prétend rechercher plus de « transparence » et d’ « Intégrité » dans le Marché Financier, on développe en fait deux tendances fondamentalement malsaines :
1) la multiplication des marchés concurrents avec d’un côté des Marchés officiels ouverts au public, des M.T.S., des Black Pools des opérations O.T.C. (de gré à gré,). Par contre on ouvre au public des marchés hyperspéculatifs comme les marchés de matières premières, les Contracts for Deposits (C.F.D.s) etc.
2) Par ailleurs, le développement des produits dérivés intéresse au plus haut point les intermédiaires, car la concurrence entre opérateurs de Bourse sur produits classiques (actions et obligations) leur supprime toute rentabilité. Les commissions sont tombées à moins de 0,01 %.
Les produits dérivés, manquant de « transparence » et surtout de « liquidité » produisent pour les intermédiaires et leur Bourses des résultats bien plus brillants Si la rentabilité de la Deutsche Börse est si supérieure à N.Y.S.E. Euronext c’est que leur développement se fait autour du marché des produits dérivés Eurex second marché mondial de dérivés.
Par contre il existe un élément positif : le développement remarquable des Sociétés de Gestion (600 actuellement en France). Celles-ci répondent parfaitement à la notion de « défense de la clientèle privée », en prenant de fortes marges bénéficiaires, mais en assurant en contrepartie un service indispensable pour le public.
Conclusion
Quatre idées se dégagent de cette analyse :
1) L’Etat a bien compris le « drame » que représentent les nouvelles mesures pour l’investissement français. Pour cela il encourage les placements financiers, soit par des mesures directes (F.S.I., Grand Emprunt, C.D.C Entreprises etc.), soit par des Conseils au secteur bancaire (le rôle du « Médiateur de Crédit » a été prolongé de deux ans) soit surtout par des avantages fiscaux (P.E.A, investissement dans les P.M.E, etc.)
2) La déstructuration des marchés provoquera sans doute à terme une Crise économique de plus grande ampleur que celle qu’on a connue. Les 600 billions de dollars de produits dérivés O.T.C., les 60 billions de Dérivés de Crédit sont une menace pour l’avenir des Economies et rien n’est réellement tenté pour la désamorcer.
Cependant on ne doit pas être pessimiste à court terme Le professeur Hyman Minski expliquait que les crises étaient toutes dues à un excès de crédit, mais que l’explosion ne pouvait venir qu’en période d’expansion économique, ce qui n’est pas le cas du moins pour le moment. Cela donne aux Autorités Financières le temps de prendre des mesures pour résorber les « anomalies » qui se sont développées comme les « Flash Orders » ou les « Contracts for Difference C.F.D.s »
3) Les pays occidentaux et surtout les pays européens sont tellement impressionnés par la crise récente qu’ils prennent le plus de mesures possibles pour stériliser les bilans des Sociétés Financières au risque de paralyser l’investissement, tandis que les pays neufs n’ont pas ces scrupules et profitent de la « prudence excessive » des pays riches pour se développer à leur dépens. Ainsi les introductions se font de plus en plus à Hong Kong et Singapour. Ainsi, la Société Occitane pour la France et la société italienne Prada se font coter à Hong Kong. Il est donc indispensable que la nouvelle société Deutsche Boerse fusionnée avec NYSE Euronext aide la Place de Paris à développer un système efficace pour développer les investissements des entreprises européennes quelque soit leur taille.
4) La France est victime de cette situation car elle ne dispose que de peu de Fonds Communs (épargnés par Solvency II). Mais elle a à terme un avantage énorme : l’ampleur de son épargne et son développement des moyens de collecte grâce à un réseau de Banques et d’intermédiaires privés qui ont parfaitement compris que l’on ne pouvait pas laisser l’économie s’effondrer.