1. Introduction
Le jeudi 13 octobre 2022, le président russe, Vladimir Poutine, a proposé au président Recep Tayyip Erdogan la création d’un nœud (« hub ») gazier en Turquie afin de livrer du gaz russe à d’autres pays, notamment à l’Europe. Ce projet, qui révèle la bonne entente entre les deux présidents, a été annoncé en marge du sixième sommet de la Conférence pour l’interaction et les mesures de confiance en Asie (CICA) à Astana, au Kazakhstan. « Nous pourrions examiner la possibilité de créer sur le territoire turc un hub gazier pour des livraisons vers d’autres pays, notamment vers l’Europe », a déclaré le président russe en arguant que la Turquie s’est avérée être « actuellement l’itinéraire le plus sûr pour les livraisons » de gaz russe. Pour renforcer son propos, le chef d’État russe a rajouté : que cette plateforme gazière « qu’ils pourraient créer ensemble, servirait non seulement pour les approvisionnements mais aussi pour déterminer le prix, car la tarification est une question très importante ». Et de rajouter : « Aujourd’hui, les prix sont très élevés ; nous pourrions facilement les réguler au niveau normal du marché, sans aucune contrainte politique ». De son côté, le président turc a affirmé que les travaux commenceraient immédiatement. Dans un article intitulé « Il piano di pace può attendere : Erdogan e Putin parlano solo di gas » (Le plan de paix peut attendre : Erdogan et Poutine ne parlent que de gaz) publié dans le journal La Repubblica du 14 octobre 2022, Rosalba Castelletti écrit : « Les opportunités énergétiques ont eu raison des ambitions diplomatiques. L'idée du président russe Vladimir Poutine de créer un "nœud gazier" en Turquie pour exporter le gaz de la Fédération vers l'Europe a séduit Recep Tayyip Erdogan à tel point que, du moins selon le Kremlin, hier à Astana, le dirigeant turc n'a pas du tout parlé des négociations avec l'Ukraine ». Dès le lendemain de cet accord, le président turc a demandé à son gouvernement de commencer à travailler sur le projet. « Nous avons donné, avec M. Poutine, à notre ministère de l'Énergie et à l'institution concernée en Russie, l'ordre de mener un travail en commun », a déclaré Recep Tayyip Erdogan. Il a rajouté : « Il n'y aura pas d'attente à ce sujet » en mentionnant que le « hub » pourrait être construit dans la région de Thrace, dans le nord-ouest de la Turquie. Que penser de ce projet de création d’un nœud gazier en Turquie en partenariat avec la Russie ?
Après avoir exposé un bref état des lieux de la situation économique et géopolitique de la Turquie, nous évoquerons comment est perçu ce projet entre la Russie et la Turquie relatif à la création d’un nœud gazier vers l’Europe.
2. Pour essayer de relancer son économie, la Turquie a pour ambition de devenir un nœud énergétique à l’échelle européenne
La situation économique de la Turquie est désastreuse, soulignent certains économistes
Dans un article intitulé « La Turquie flirte avec le désastre économique » publié en janvier 2022, le journaliste économique Pierre-Henri Girard- Claudon écrit : « Le grand turc semble fâché avec l’économie. Le président Recep Tayyip Erdogan ne cesse de marteler que des taux d’intérêt élevés sont source d’inflation. Du coup, alors que la hausse des prix ronge le pays et que la politique monétaire qu’il insuffle est fustigée de toute part, il a déclaré le 20 décembre 2021 qu’il ne fallait attend(re) rien d’autre de (lui) » que le maintien des taux au plus bas. Il a « régulièrement invoqué ces dernières semaines, les préceptes islamistes interdisant l’usure pour continuer de baisser les taux d’intérêt, même si la théorie économique préconise le contraire ».
D’après des données officielles, l’inflation a atteint son niveau record en 25 ans, soit 85,5 % sur un an au mois d’octobre 2022 contre 83,4 % en septembre et 80,21 % en août. Cette forte augmentation des prix résulte de l’effondrement continu de la livre turque (qui a perdu plus de la moitié de sa valeur face au dollar depuis début 2022) et d’une nouvelle baisse en octobre de 12 % à 10,5 % du taux directeur de la Banque centrale pour le troisième mois consécutif après une baisse de 13 à 12% en septembre. Le président Erdogan dit « préférer privilégier la croissance et les exportations à la stabilité des prix ». Devant un forum économique, il avait lancé que « son ennemi, c’est les taux d’intérêt ».
Par ailleurs, les entreprises subissent d’importantes hausses de leurs coûts de production et les particuliers se heurtent à une flambée des prix des produits alimentaires de première nécessité. Les baisses de TVA annoncées début 2022 sur de nombreux produits alimentaires de base n’ont pas eu l’effet escompté.
En résumé, selon la COFACE, les points faibles de la Turquie sont notamment : 1) La dépendance à l’égard des importations d’énergie et des biens intermédiaires ; 2) Une inflation élevée, la monnaie locale atteignant des niveaux bas record ; 3) La vulnérabilité résultant du niveau élevé de la dette extérieure privée à court terme et du faible niveau des réserves de change brutes ; 4) Une croissance tirée par le crédit, entraînant un niveau d’endettement élevé et un risque de surchauffe ; 5) Incertitudes entourant la politique monétaire.
Si l’Europe subit une vague d’inflation liée à plusieurs causes : reprise de l’économie post-covid, sècheresse mondiale, crise sanitaire en Chine, guerre en Ukraine, etc., « la Turquie, elle, affronte un véritable tsunami », déclare Corentin Pennarguear, journaliste à Courrier international.
La géopolitique de l’énergie en Turquie
Dans un article intitulé « Conflit gréco-turc : une guerre énergétique complexe » publié en décembre 2020, Yassine Fakid écrit : « Ankara a l’ambition d’être un hub énergétique pour l’Europe. L’Etat turc tient à la fois à assurer aux Chypriotes turcs une part des revenus futurs du gaz et à défaire la Turquie de sa dépendance vis-à-vis des approvisionnements en gaz russe […] De ce fait, la Turquie de Recep Tayyip Erdogan s’est engagée au cours des deux dernières années dans une série remarquable d’interventions étrangères géopolitiques actives de la Syrie à la Libye en passant par Chypre et plus récemment aux côtés de l’Azerbaïdjan. Certains ont appelé cela la stratégie du « Nouvel Empire ottoman » d’Erdogan. Pourtant, une livre en chute libre et une économie nationale en effondrement menacent de mettre un terme imprévu à ses grandes ambitions géopolitiques ».
Ne disposant que de très peu de ressources sur son territoire (importations de 90 % de sa consommation totale d’hydrocarbures) et d’une « économie au bord du gouffre » (dixit Raphaël Landau, ingénieur financier et diplômé de géopolitique), la Turquie a pour ambition d’assurer sa sécurité énergétique et devenir un carrefour énergétique à l’échelle nationale et internationale. « La Turquie veut devenir un fournisseur de gaz de l’Europe, titre le magazine « Transitions et Énergies ». Le quotidien le Monde daté du 11 août 2020 énonce que « confronté dans son pays à une sévère crise économique, le président turc tente de s’illustrer sur la scène internationale et d’étendre son influence hors des frontières turques, en Syrie, en Libye, en Méditerranée. Ankara veut notamment s’imposer dans la ruée vers les hydrocarbures et s’affirmer comme première puissance en Méditerranée orientale ». En d’autres termes, la Turquie veut faire de sa principale faiblesse une force en devenant le carrefour gazier de l’Europe.
La volonté de la Turquie de devenir un « hub » gazier, qui ne date pas d’aujourd’hui, est source de tensions importantes et de situations de guerre à ses frontières. Récemment encore, le 26 octobre 2022, un drone turc a survolé l’île grecque de Kinaros.
Christian Vallar, professeur agrégé des universités et Doyen honoraire, dans son article intitulé « La Turquie au carrefour de la géopolitique orientale » publié juillet 2022 dans la Revue Interdisciplinaire Droit et Organisation, rappelle qu’au « début de l’été 2022 la tension était à nouveau maximale entre la Grèce et la Turquie, à telle enseigne que la crainte de l’invasion d’une île, voire de l’annexion du nord de Chypre, est réelle. Les violations de l’espace aérien grec se sont multipliées, plus de 280 en 2020, et 3200 depuis janvier 2022 (Perrier) […] La Turquie ambitionne de jouer un rôle clé dans la dynamique énergétique liée au gaz naturel, en particulier comme pays de transit, dont les eaux de méditerranée orientale recèlent de vastes gisements, tel Léviathan au large d’Israël ». « Dans l’est de la Méditerranée, Ankara se comporte comme une puissance régionale » déclare Minoui Delphine.
Le 21 juillet 2020, Ankara a dépêché 18 navires de guerre dans les eaux territoriales grecques, et un navire de recherche d’hydrocarbures sous-marins Oruç Reis au large de l’île grecque de Kastellorizo. La marine grecque a alors lancé l’alerte maximale, déployant à son tour une flotte dans la région. Le journal grec Ta Nea estime « qu’au-delà des forages sous-marins en Méditerranée orientale, auxquels veut participer la Turquie pour obtenir une part des ressources en hydrocarbures, Ankara semble vouloir s’arroger plusieurs îles grecques. Ce même journal rappelle « qu’en novembre 2019, Ankara a signé un accord illégal avec le gouvernement de Tripoli, en Libye, afin d’établir une Zone économique exclusive entre les deux pays. Or cette ZEE comprend les îles grecques, dont Kastellorizo et la Crète, ce que dénonce Athènes depuis ». Le président de la République Emmanuel Macron et la chancelière allemande Angela Merkel sont intervenus pour demander au président Recep Tayyip Erdogan de cesser ces forages illégaux.
Jana Jabbour, docteur en sciences politiques et enseignante à Sciences Po, dans un article intitulé « La Turquie : une puissance émergente qui n’a pas les moyens de ses ambitions », rappelle « qu’à l’été 2020, la posture de plus en plus agressive de la Turquie sur la crise libyenne et sur les enjeux énergétiques en Méditerranée orientale a retenu l’attention de l’opinion internationale et suscité l’ire des pays européens, France en tête ». Elle ajoute : « Les déclarations polémiques du président turc à propos de la Libye, les points marqués par Ankara en Tripolitaine, ainsi que l’activisme diplomatico-militaire de la Turquie en Méditerranée orientale ont démontré le pouvoir de nuisance de cette puissance régionale, et aggravé ses tensions avec l’Union européenne (UE) et l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) ». Par ailleurs, Jane Jabbour signale « qu’ en soutien à la Grèce, pays membre de l’UE, Paris a déployé en août 2020 deux avions Rafale et deux navires de guerre en Méditerranée orientale, au large des côtes chypriotes et libanaises ».
Malgré les appels répétés de l’Union européenne et d’Athènes, Ankara a répété ses incursions en mer Égée. La tension demeure vive entre la Grèce et la Turquie. Dans ce contexte de vives tensions entre Ankara, Athènes et Paris en Méditerranée orientale, le président turc a qualifié les dirigeants de la France et de la Grèce de « cupides et incompétents ». Un journaliste et universitaire turc s’inquiète des menaces de Recep Tayyip Erdogan « qui pourraient bel et bien déboucher sur un affrontement militaire ». Accusant la Grèce d’avoir visé des avions turcs en mission dans la mer Egée et en Méditerranée orientale, le Président turc a déclaré : « Holà, Grèce, regarde ton histoire, si tu continues sur cette route, le prix à payer sera lourd ! Je n’ai qu’une chose à dire à la Grèce : n'oublie pas Izmir [en septembre 1922, lors de la deuxième guerre gréco-turque , les habitants grecs, arméniens et levantins de la ville portuaire alors appelée Smyrne sont massacrés par dizaines de milliers avant d’être évacués par la marine grecque]. Tu occupes les îles mais le moment venu nous ferons le nécessaire. Comme on le dit, nous pouvons venir soudainement une nuit ».
A Chypre, le consortium franco-italien Total Energies-ENI a découvert un troisième gisement de gaz offshore au large de ses côtes en août 2022. Dès l’annonce de cette découverte, Ankara a réagi en violant 72 fois l’espace aérien grec en 24 heures. A cet égard, Kostis Stambolis, directeur exécutif de l’IENE (Institut of Energy for SE Europe), déclare : « La Turquie continue la rhétorique belliqueuse à chaque fois qu’un gisement est découvert. La remise en cause de la souveraineté chypriote par Ankara est un réel obstacle à l’exploitation des gisements gaziers ». Chypre, qui était déjà inquiète des regains de tensions entre la Grèce et Ankara, se trouve confrontée à des blocages et à des menaces de la part de la Turquie.
Comme le rappellent certains géopoliticiens, « le but de la Turquie – c’est le contrôle total des ressources énergétiques de la mer Caspienne, de l’Asie Centrale, qui s’étendent jusqu’à l’Europe. En premier, l’avantage matériel sous forme d’importantes réserves de gaz qui se trouvent dans le sous-sol, puis le monopole de son utilisation et, enfin, sa transformation en centre régional de livraison du gaz ». D’où les velléités des présidents turc et azéri d’ouvrir « un corridor en Arménie dans la région du Syunik afin de construire un nouveau gazoduc (au Sud) qui, via le Nakhitchevan (enclave collée à la frontière turque, iranienne et arménienne), va approvisionner l’UE en gaz », révèle Jean-Christophe Buisson, Directeur-Adjoint au Figaro. Ce corridor va permettre non seulement de construire un nouveau gazoduc et satisfaire l’ambition énergétique de RT. Erdogan mais aussi d’assurer une communication sans entrave au monde turc. D’aucuns parlent de la volonté du président turc de former un nouvel Empire ottoman : « A Ankara, l’on rêve de fédérer, du plateau anatolien à l’Asie centrale, tous les pays turcophones dont l’Azerbaïdjan », signale Alain Chevalérias. De son côté, Sébastien Forest (Turquie et Azerbaïdjan : « une seule nation, deux États », publié par Dauphine Stratégie Défense) écrit : « le Caucase semble être devenu le nouveau théâtre des ambitions turques, une nouvelle étape dans les nouvelles politiques « néo-ottomanes » et panturques menées par Recep Tayyip Erdogan. […] Dans le cadre du partenariat économique très fort entre la Turquie et l’Azerbaïdjan […], ces derniers se voient obligés de contourner l’Arménie pour relier leurs deux pays par des infrastructures de transport ou d’acheminement des ressources naturelles, en passant par la Géorgie notamment, ralentissant de fait leur intégration commerciale. Dans une perspective plus large encore, l’Arménie prive la Turquie d’un corridor turcophone partant des terres turques européennes à l’extrême Ouest du pays, passant par l’Azerbaïdjan et les pays du Conseil Turcique d’Asie Centrale, et allant jusqu’à la région autonome du Xinjiang en Chine. Or ce couloir serait une condition préalable pour mener à bien une politique panturque tant rêvée par les penseurs Jeunes-Turcs à la fin du XIXème siècle et reprise il semblerait aujourd’hui par Erdogan ».
Dès lors, pour réaliser à la fois son rêve d’un nouvel Empire Ottoman et poursuivre le déploiement de sa stratégie gazière en trouvant « une nouvelle solution au transport des hydrocarbures vers l’Azerbaïdjan », ce dernier, poussé par la Turquie, a repris le conflit au Haut-Karabakh, « territoire arménien depuis l’Antiquité »(dixit Eric Denécé). Le 27 septembre 2020, l’Azerbaïdjan a déclenché une offensive massive contre cette République autoproclamée, peuplée à 100 % d’Arméniens. Deux ans après, « dans la nuit du 13 septembre 2022, l’Azerbaïdjan bombarde une demi-douzaine de villes à l’est de l’Arménie, tuant dans la foulée une cinquantaine de soldats arméniens et plusieurs centaines d’autres dans les jours suivants. C’est l’affrontement le plus meurtrier de la région depuis la guerre des 44 jours de 2020 », écrit Salomé Menu (« Silencieuse disparition de l’Arménie », Octobre 2022). L’Azerbaïdjan, armé notamment par la Turquie, s’attaque à un Etat souverain, l’Arménie, qui est protégé par les principes d’intégrité territoriale et de non-intervention consacrés par la Charte des Nations-Unies.
Comme l’a déclaré un sénateur LR lors d’un colloque, « l’Europe est-elle prête à accepter, à ses portes, un nouvel Empire ottoman, un nouveau sultan, un nouveau tyran qui du Caucase en Méditerranée imposerait ses vues ? Sommes-nous prêts à servir un autre impérialisme ? Combien de peuples devront tomber sous la coupe d’Erdogan pour que l’Europe se décide à agir ? ».
Source : Anadolu Agency
3. La Turquie peut-elle devenir un « hub » diplomatique et gazier ?
Des voix s’élèvent, dont celle de la France, pour dénoncer l’accord passé entre Vladimir Poutine et Recep Tayyip Erdogan.
Elvan Arik et Elshan Mustafayev, dans un article « Au-delà du « nœud » géopolitique, la régulation contestée du secteur énergétique en Turquie » (2014), consignent que « la diplomatie turque a su consolider et valoriser le rôle de corridor énergétique anatolien (flux pétroliers et gaziers), permettant à un pays en voie d’industrialisation et déjà majoritairement urbanisé – donc énergivore – de satisfaire sa demande intérieure tout en ayant la possibilité de diversifier ses sources d’approvisionnement. C’est dans cette perspective très géopolitique, autour de la « complexité des dépendances » entre différents types d’acteurs, que Pierre Chuvin, en 2008, se demandait si la Turquie allait devenir le futur hub énergétique de l’Europe ».
Claude Ruiz, agrégé de géographie et professeur d’enseignement supérieur, dans un article intitulé « La Turquie : émergence et positionnement géopolitique » écrit : « Les relations entre la Russie et la Turquie se sont intensifiées « au rythme de la diplomatie des hydrocarbures ». La Turquie vient de signer un accord avec la Russie dans le but de livrer du gaz russe aux pays européens. Où est la cohérence si nous arrêtons d’importer du gaz de la Russie pour importer ce même gaz via la Turquie ? Quid du contournement des sanctions prises à l’encontre de la Russie ?
Ibrahim Karatas, dans son article « Türkiye to be a gas hub but not everyone is happy” souligne que la récente proposition du président russe de faire de la Turquie une plaque tournante du gaz a été bien accueillie par le président turc, mais que « tout le monde n’est pas content de ses récents développements ». Il écrit : « Alors que l’opposition turque est furieuse contre Poutine pour avoir donné un gilet de sauvetage à Erdogan pour les prochaines élections, les capitales occidentales accusent le gouvernement turc d’alléger les sanctions exercées contre la Russie ». De même, le bulletin d’information Euractiv relate que « Les États-Unis ont réagi négativement à la proposition du Président russe Vladimir Poutine de faire de la Turquie une plaque tournante du gaz pour l’UE.[…] La proposition de Vladimir Poutine a suscité des inquiétudes à Athènes en raison de l’escalade inquiétante (NDL : des tensions) entre les deux en Méditerranée orientale. Mais les partenaires de l’UE ne semblent pas aimer l’idée non plus ».
La France a fait savoir « « qu’il n’y a aucun sens à créer de nouvelles infrastructures qui permettraient d’importer du gaz russe ». La présidence française rappelle que l’Europe cherche justement depuis plusieurs mois, à diminuer sa dépendance à l’égard du gaz russe : « Il se peut que la Russie et la Turquie décident ensemble d’exporter davantage de gaz mais ça ne peut-être vers l’Union européenne qui a des engagements de souveraineté, de réduction de ses dépendances et par ailleurs de transition climatique qui sont incompatibles avec ce genre de raisonnement ».
Selon Elvan Arik et Elshan Mustafayev cités précédemment, « l’avantage géographique de la Turquie ( voir son rôle de « corridor énergétique anatolien ») ne représente qu’une facette, certes indispensable, mais pas suffisante, pour prétendre définir la Turquie comme un « hub ». Après avoir évoqué « la dimension matérielle liée à l’insuffisance des capacités et de l’efficacité des infrastructures du pays ainsi que la libéralisation incomplète des marchés énergétiques », ces deux auteurs nous renvoient à l’article de Samuel Lussac « L’impossibilité du hub énergétique. La Turquie face aux limites de sa politique gazière » qui analyse les potentialités de la Turquie en tant que nœud gazier. Après avoir analysé la genèse de cette ambition, Samuel Lussac révèle « les faiblesses techniques de la diplomatie énergétique turque : l’insécurité pesant sur les gazoducs, le manque de capacité de transport et de stockage de gaz, l’absence d’un régime de transit clair, … qui sont autant de limites au devenir de la Turquie en tant que hub gazier ».
De l’avis de Jana Jabbour citée précédemment, « la diplomatie turque est confrontée à un problème commun à toutes les puissances émergentes : le décalage entre ses ambitions et ses ressources et capacités réelles ».
« Un siècle plus tard, la Turquie est encore au centre des grandes manœuvres géopolitiques en Méditerranée et en Europe » (Christian Chesnot, 2021). La satisfaction de certaines ambitions justifie-t-elle les déploiements en mer Égée, le nettoyage ethnique du peuple arménien et la suppression de l’Arménie sur la carte du fait de sa situation géographique dans le Sud Caucase, … ? D’aucuns parlent de « gaz au parfum de sang ».
4. Glossaire
Eaux territoriales : Zone de mer « adjacente » aux côtes de l’État.
Note : La souveraineté de l’État s’y étend intégralement, aussi bien sur le fond et le sous-sol que sur l’espace aérien surjacent.
Hub gazier : Plateforme d’approvisionnement et d’acheminement de gaz.
Note : En d’autres termes, c’est une infrastructure dont le rôle est d’une part de recevoir du gaz provenant d’un pays fournisseur, d’autre part de l’envoyer à des pays clients.
Gazoduc : Canalisation qui transporte des gaz sous pression, la plupart du temps des hydrocarbures.
Intégrité territoriale : Principe selon lequel les frontières d’un État, d’un territoire ou d’une province doivent être respectées.
Nakhitchevan : Région du Caucase qui constitue aujourd’hui une région autonome et qui survit en s’appuyant sur la Turquie, dont elle est frontalière.
Panturquisme : Idéologie nationaliste née au XIXème siècle cherchant à renforcer les liens entre les peuples turcophones, voire à susciter leur union au sein d’un même État.
Principe de non-intervention : Droit de tout État souverain à conduire ses affaires sans ingérence extérieure.
Souveraineté d’un État ou égalité souveraine : Principe selon lequel tous les États sont égaux devant le droit international, indépendamment de la taille de leur territoire, de leur population, de leur économie ou de leur armée.
Taux directeur : Taux d’intérêt fixé par une Banque centrale pour les prêts accordés aux banques commerciales.
Zone économique exclusive (ZEE) : Bande de mer ou d'océan située entre les eaux territoriales et les eaux internationales, sur laquelle un État riverain dispose de l'exclusivité d'exploitation des ressources.
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