1. Introduction

La crise financière a mis en évidence le caractère procyclique du système financier dans son ensemble, c’est-à-dire une tendance à accumuler trop de risques et d’effets de levier d’endettement trop élevés dans les périodes d’expansion et de tenter de se débarrasser immédiatement des expositions au risque lorsque l’économie entre en récession. Dans ce cadre, des réflexions ont été menées sur la question de la procyclicité des normes prudentielles et comptables.

2. Analyse conceptuelle

La Fédération Bancaire Française définit la « procyclicité » comme « la variabilité excessive d’un facteur aux fluctuations du cycle économique. Dans le cas d’un ratio de solvabilité sensible au risque, la procyclicité consiste en une variabilité accrue du niveau des exigences en fonds propres ; celles-ci sur-réagissent à la hausse en cas de ralentissement de la croissance ou de récession de l’activité, à la baisse en période d’accélération de la croissance ». Dans le premier cas, le risque d’un rationnement du crédit (« credit crunch ») ne peut être écarté a priori, dans le second celui d’un emballement du crédit, l’un comme l’autre accentuant l’amplitude du mouvement conjoncturel et exerçant une influence déstabilisante sur l’activité.

3. La procyclicité avérée des normes

3.1 La procyclicité des normes prudentielles
Dans le domaine prudentiel, la procyclicité est liée à l’utilisation du ratio de solvabilité (« Capital Adequacy Ratio ») qui rapporte les fonds propres réglementaires aux risques pondérés : risque de crédit, risque de marché et risque opérationnel (la définition des différents risques qui est donnée ci-après est extraite de la « Terminologie bancaire et financière multilingue du Comité français d’organisation et de normalisation bancaires »).
·    Risque de crédit : Risque de pertes lié à la non-exécution par l’emprunteur de ses obligations financières.
·    Risque de marché : Risques globaux d’un établissement bancaire face aux évolutions des facteurs de risques que sont notamment les variations de taux de change, des taux d’intérêt, du cours des actions et des matières premières.
·    Risque opérationnel : Risque de pertes résultant de l’inadaptation ou de la défaillance de procédures internes, de personnes et de systèmes ou résultant d’événements extérieurs.
Ainsi, pour une banque l’évaluation de l’adéquation des fonds propres consiste à vérifier que les risques sont couverts par un minimum de fonds propres.

Selon certains observateurs,  Bâle II serait encore plus procyclique que Bâle I car en phase de récession, les actifs pondérés du risque (le dénominateur du ratio de solvabilité) augmentent en même temps que le numérateur diminue, de sorte que les exigences en fonds propres deviennent plus élevées.

3.2 La procyclicité des normes comptables
Sur le plan comptable, l’effet procyclique serait notamment lié à l’obligation des banques de comptabiliser à la juste valeur (« fair value ») leurs actifs. Ce principe de comptabilisation a permis aux banques d’enregistrer immédiatement des plus-values latentes croissantes issues de leur portefeuille de négociation d’instruments financiers et donc une augmentation de leurs fonds propres parfois qualifiée de factice. Symétriquement, la crise financière a contraint les banques à comptabiliser d’importantes provisions pour dépréciation et des pertes. Pour Dominique Lacoue-Labarthe, les normes comptables « amplifieraient la « financiarisation » de l’économie plutôt qu’elles ne la contiendraient, accroîtraient la volatilité des revenus, entraîneraient un lissage des chocs intemporels, affaibliraient la discipline de marché et seraient à l’origine d’une fiabilité limitée des estimations de probabilité de défaut ».

Si le principe de comptabilisation à la juste valeur a une incidence indéniable en termes de volatilité financière et d’amplification des cycles, il ne faut pas pour autant désigner les normes comptables comme principales responsables de la crise.

4. Les réponses apportées à la procyclicité

4.1 La réponse prudentielle de Bâle III
Dans son document intitulé « Basel III: A global framework for more resilient banks and banking systems” de décembre 2010, le comité de Bâle a introduit certaines mesures visant à réduire les effets procycliques et qui s’inscrivent dans une démarche macro-prudentielle. Elles doivent se concrétiser par la constitution :
·    d’un volant de conservation de 2,5% destiné à inciter les banques à constituer des « coussins » de capital qu’elles pourront mobiliser pour absorber les pertes en période de crise sans descendre en deçà des exigences minimales. Pour donner un caractère contraignant à cette disposition, il est prévu que les banques qui ne la respectent pas se voient limitées dans la distribution des bonus et des dividendes.
·    d’un volant contra-cyclique qui se situera entre 0 et 2,5%. Ce volant sera constitué durant les périodes de rapide expansion du crédit si, de l’avis des autorités nationales, le taux de croissance du crédit exacerbe le risque systémique. Inversement, ce volant pourra être utilisé en cas de repli, pour réduire les risques par exemple d’une contraction du crédit imputable aux exigences réglementaires en fonds propres.

4.2 La réponse apportée par l’International Accounting Standards Board (IABS)
Dans le cadre de la révision globale de la norme IFRS 9, l’IABS a proposé une modification des règles de dépréciation des actifs financiers consistant à faire évoluer le modèle de dépréciation actuel fondé sur le principe des pertes avérées vers un modèle de pertes estimées plus prospectif, c’est-à-dire vers un modèle de pertes attendues. Cette évolution devrait apporter des réponses aux problèmes de procyclicité.

5. Glossaire

Conseil des normes comptables internationales (« International Accounting Standards Board ») : Organisme ayant la charge et l’unique responsabilité de l’élaboration des normes comptables internationales.
Note : Depuis une réforme entrée en vigueur en mars 2001, l’IASB a succédé au Comité international des normes comptables (IASC). Il se compose de la Fondation IASC et  d’un bureau exécutif, l’IASB.

Fonds propres complémentaires (« tier-2 capital ») : Fonds constitués principalement d’une quote-part des plus values latentes, des emprunts subordonnés à durée indéterminée (« upper Tier two ») et à durée déterminée (« lower Tier two).

Fonds propres de base (« tier-1 capital ») : Fonds constitués principalement du capital social et des réserves.

Juste valeur (« fair value ») : Montant pour lequel un actif pourrait être échangé, ou un passif éteint, entre des parties bien informées et consentantes dans le cadre d’une transaction effectuée dans des conditions normales de concurrence.

Norme IFRS 9 : Norme qui a remplacé la norme comptable IAS 39 sur les instruments financiers et dont la principale modification est la disparition des quatre catégories d’actifs prévues dans l’ancienne norme précitée. Désormais, un actif ou un passif financier devra être comptabilisé soit à la juste valeur par résultat, soit au coût amorti.

Ratio européen de solvabilité dit ratio Cooke : Ratio prudentiel institué en 1988 dans le cadre des accords de Bâle1 pour mesurer la solvabilité des banques en fixant une limite à l’encours pondéré des prêts accordés par une banque en fonction de ses capitaux propres.
Note : La pondération est fonction de la nature juridique de l’emprunteur, de la localisation du risque et de la durée des engagements. Ce ratio doit être égal à 4% pour les fonds propres de base (Tier-1 capital) et à 8% pour les fonds propres complémentaires (Tier-2 capital).

Ratio Mac Donough : Ratio de solvabilité qui succède au ratio Cooke en 2007 et dont l’architecture s’appuie sur trois piliers : exigences minimales en fonds propres (pilier 1), processus de surveillance prudentielle (pilier 2), discipline de marché via une communication financière efficace (pilier 3).
Note : Comme pour le ratio Cooke, l’exigence en fonds propres est maintenue à 8%. La principale différence consiste en une appréciation plus nuancée des engagements bancaires qui font l’objet d’une évaluation externe et interne du risque de crédit ; de plus, une part plus grande est accordée au risque opérationnel et aux activités de marché.

Surveillance macroprudentielle : Approche consistant à limiter les difficultés du système financier dans son ensemble afin de protéger l’économie générale des pertes importantes en termes de produit réel.

Surveillance microprudentielle : Approche qui s’intéresse à chaque établissement financier de façon individuelle et qui vise à limiter les risques de défaillance.

Surveillance prudentielle : Ensemble des techniques visant à surveiller et à maintenir en l'état le système financier, l’'objectif principal étant d'éviter d'éventuelles dérives d'un ou plusieurs acteurs qui pourraient déstabiliser l'ensemble.


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