L’Afrique francophone en turbulence

Les coups d’État en Afrique de l’Ouest (Guinée, Burkina, Mali, Niger) se succèdent et s’enchaînent maintenant dans le Bassin du Congo avec le Gabon. Ils surprennent de nombreux observateurs mais doit-on en être surpris ? Au début des années 60 ces pays se sont progressivement émancipé de la tutelle coloniale et ont intégré le groupe des pays émergents caractérisés par un faible PIB par habitant. Les équipes dirigeantes de ces jeunes pays africains ont en général accédé au pouvoir avec l’accord des anciennes tutelles qu’elles soient belge, britannique, française ou portugaise sur l’ensemble de l’Afrique. L’ordre Onusien mis en place en 1945 par les vainqueurs du conflit mondial est maintenant remis en cause notamment dans l’espace africain. La création des BRICS, groupe qui réunit les pays suivants (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) en est l’illustration et on se dirige vers un BRICS ++ avec la Thaïlande, la Guinée, le Mexique et le Tadjikistan. Sommes-nous face à un basculement qui peut-être géré par les parties européenne et africaine dans leur intérêt mutuel ou assistons à une glissade qui se fera au détriment de chacune des parties ?

Les pays émergents du Sahel sont soumis aux attaques djihadistes depuis plus de 10 ans et l’opération anglaise, française et étatsunienne en Lybie en 2011, a renforcé massivement le djihadisme au Sahel et en Afrique de l’Ouest en lui fournissant des armes sans réduire les conflits au sein de groupes armés en Lybie et sans instaurer une nouvelle gouvernance se substituant à celle mise en place par feu le colonel Kadhafi. L’intervention française au Mali en 2013, à la demande des autorités maliennes, s’inscrit dans cette trajectoire pour empêcher les djihadistes de s’emparer de Bamako. La mise en place de l’opération militaire française au Mali contient la menace djihadiste mais ne parvient à l’éliminer et cette présence militaire suscite après plusieurs années la défiance de jeunes opposants qui contestent les pouvoirs existants et le fait qu’une intervention militaire ne répond pas aux besoins de la société civile. A la suite du départ de l’armée française du Mali en 2022 l’opération Serval  est transformée en Barkhane avec l’installation de l’armée française au Niger. Dans ce pays le Président Mohamed Bazoum, élu démocratiquement au Niger en février 2021, est séquestré en juillet 2023 par sa garde et une junte prend le pouvoir animée par le Directeur de la garde présidentielle, Abdourahamane Tiani qui a déposé le Président. Depuis cette junte demande le départ de l’armée française et plusieurs centaines de français ont été rapatriés dans l’hexagone. Durant l’été 2023 le chef de la garde présidentielle au Gabon prend le pouvoir en déposant le Président Bongo le 30 août. L’Afrique francophone est en turbulence !

Fondamentalement ce qui est reproché à l’ancien colonisateur, 60 ans après les indépendances c’est de ne pas comprendre que des interventions militaires, souvent au bénéfice de pouvoirs vieillissants ne répondent pas aux besoins de la société civile, aux aspirations de la jeunesse de ces pays dont les moins de 25 ans représentent près de 50 % de la population

La mondialisation :

  • La jeunesse africaine est mondialisée avec les téléphones mobiles. Elle suit ce qui se passe dans l’espace francophone et dans l’environnement mondial. L’Afrique est le continent qui a le plus développé les paiements par téléphone. Sur ce sujet l’Afrique est en avance sur l’Europe.
  • La Chine et la Russie ont investi chacun à leur manière l’Afrique, du Nord au Sud. Les États-Unis sont présents et l’agence de développement étatsunienne « US AID » soutient de nombreux projets de développement local en complément des investissements privés. Les États-Unis disposent de bases militaires à Djibouti, au Niger (3 bases) et au Sénégal. La Turquie et les Émirats du Golfe s’invitent en Afrique.
  • Si l’on prend le cas du Mali la nouvelle junte militaire a lancé l’exploitation de la première mine de lithium de l’Afrique « Gaulamina » avec des exportations de plus de 150 000 tonnes de minerai prévues dès 2024, acheminées par camion puis par le terminal portuaire d’Abidjan. Avec une participation de 10 % dans la société pour l’État malien, les partenaires associés sont chinois « Ganfeng lithium » et australien « Firefinch », cotée à Sydney. Le marché du lithium est en pleine croissance avec la très forte demande pour les batteries électriques destinées à l’industrie automobile. Ce lithium, composant essentiel des cellules de batteries électriques construites en Chine reviendra dans les super-usines européennes dont celles localisées en France . Il est clair que la prospective stratégique a montré ses limites en France sur ce sujet. Le Commissariat au plan n’a pas fait de propositions fortes alors que nous disposons de quelques équipes universitaires de pointe en la matière mais pas sollicitées. C’est ce genre de projets que la France aurait pu proposer parmi d’autres aux Maliens pour développer l’économie du pays mais cela n’a pas été le cas !

Dans le cas du Niger le nouveau chef de la junte, qui a déposé le Président, a été formé aux EUA . Quelques jours plus tard il recevait Victoria Nuland, sous-secrétaire d’Etat de la diplomatie EUA sans prévenir ni les français ni les européens. Au même moment le junte demandait le départ des militaires français mais pas celui de leurs homologues américains. On peut comprendre la réaction du Président qui souhaite un retour à la démocratie et la remise en selle du Président Bazoum alors que ce ne sont pas nécessairement les options retenues par certains.

Investissements et communication

  • La France a investi des dizaines de milliards dans les pays du Sahel et d’Afrique de l’Ouest, du bassin du Congo depuis des décennies mais peu de français savent ou est passé cet argent et sur quels projets il a été investi, et les médias n’en parlent pas. L’Agence française du développement ( AFD) et sa filiale Proparco pour les investissements privés effectuent un travail remarquable mais méconnu des médias et du grand public. Les médias français ne traitent quasi-exclusivement sur l’Afrique que des opérations militaires et des coups d’Etat quant au citoyen français il est plus informé sur les tornades en Oklahoma (EUA) ou sur les gigantesques incendies dans les forêts canadiennes que sur ce qui se passe dans les pays africains ou l’argent publique français est investi par milliards.
  • Les entreprises françaises peuvent réaliser des opérations industrielles en Afrique pas exclusivement au Maroc, et cette option devrait être considéré en regard de la proximité géographique, du niveau de coûts comparativement à des implantations asiatiques. Un recentrage opérationnel d’entreprises françaises pourrait faciliter le décollage d’activités localisées en Afrique de l’Ouest au bénéfice des États concernés.

Banque et crédit

  • Les flux d’investissement vers l’Afrique ont été de plus de 80 milliards en 2021et de 45 milliards de $ US en 2022.
  • Les prêts à court terme dans les pays d’Afrique de l’Ouest ont des taux de 20 à 25 % qui dissuadent le développement d’entreprises nouvelles et ne facilitent pas le déploiement des entreprises existantes.
  • Les banques française et britannique, BNP Paribas, Société Générale, Barclays ont revendu leur activité de détail en Afrique de l’Ouest et de l’Est pour le plus grand bénéfice des banques marocaines en Afrique de l’Ouest. Il y a donc un décalage entre le discours politique sur l’appui de l’Europe au développement de l’Afrique et la réalité du terrain. La notation financière est extrêmement défavorable aux entreprises africaines qui présentent des primes de risque très élevées selon Lionel Zinsou, ancien Premier ministre du Bénin. Il semble donc nécessaire que la France et ‘Europe fassent un point global sur les coûts de financement en Afrique, sur l’offre de financements et sur le montant des dons. Un premier pas a été effectué en mai 2021 avec le sommet pour le financement des économies africaines accueilli par le Président de la République, avec le Président de l’Union Africaine à cette date et Président de la RCD, M. Tshisekedi, et la Directrice générale du FMI. Dans le cadre de ce sommet les investissements évoqués pour l’Afrique dépassaient les 200 milliards €.

Conclusion

  • Les thèmes d’investissement à privilégier à destination de l’Afrique concernent l’éducation, la santé, l’alimentation, le financement des infrastructures de transport et les investissements énergétiques. L’angle d’attaque de ces financements doit prendre en compte les besoins d’une jeunesse mondialisée et à la recherche d’emplois. Les flux d’investissement sont variables d’une année sur l’autre comme montré ci-dessus ce qui est problématique.
  • Une approche prenant en compte ces critères permettrait d’accompagner le basculement et de ne pas se trouver face à une glissade incontrôlée de coups d’État en chaîne et des juntes ne disposant pas des moyens de répondre aux aspirations de la société civile.
  • Les médias français devraient se tourner vers l’Afrique pour en parler en bien et mettre en avant les projets porteurs sur ce continent. Il s’agit donc d’une réorientation stratégique pour ces grands médias qui constituerait un nouveau paradigme. Seule une orientation politique forte de la diplomatie et sa déclinaison opérationnelle sur les thématiques évoquées ci-dessus dans le cadre d’une approche transversalisée permettrait d’aborder cette transformation majeure. Cette dernière porterait sur les financements, les investissements, les technologies, les outils de production, la formation et les transferts de savoir-faire. La France et l’Europe disposent de l’ensemble de ces leviers pour engager une dynamique majeure de changement à laquelle la jeunesse africaine devrait à priori souscrire. Un développement fort de l’Afrique est indispensable pour réduire les vagues migratoires du Sud vers le Nord et entrevoir la possibilité de les réguler.

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