En prenant, avec moult hésitations, la décision de lancer l’assouplissement quantitatif (A.Q.) Ben Bernanke « Président » de la Reserve Fédérale (FED) et Hank Paulson à la tête du Trésor, pour empêcher le développement d’une crise, style 1930, ont provoqué une Révolution dont personne ne peut encore envisager toutes les conséquences. La plupart des économistes raisonnent selon des critères classiques ce qui leur permet d’affirmer que l’on va vers une crise bien pire que celle qu’on aurait pu connaitre en 2008 si la FED n’était pas intervenue. Par contre se développe une théorie suivant laquelle l’évolution de la situation sera un retour, sans trop de dégâts , vers une situation traditionnelle. C’est la T.M.M ou théorie monétaire moderne. Il nous faut analyser ces deux approches et envisager celle qui parait la plus plausible en tenant compte du risque politique représenté par les mouvements populistes qui désirent un retour au protectionnisme et peuvent de ce fait gâcher le redressement des économies.
I. La thèse moderne
Elle part d’une constatation et semble comporter trois principes :
a) Les taux à 10 ans ont atteint un niveau minimum à 0 % et même parfois des taux négatifs. Ils semblent même devoir rester assez longtemps dans cette situation. Dans un article des « Échos » du 2 Juillet 2019, Olivier Blanchard pense que cette situation durera au moins pendant 10 ans.
Techniquement la révolution Bernankéenne remet en cause l’accord de 1952 entre la FED et le Trésor qui interdisait à la FED d’intervenir sur le marché des Taux Longs. Il s’agissait de permettre à ces taux de fluctuer de façon autonome pour assurer ainsi la régulation du Marché (on retrouve un peu la notion de « Main anonyme » d’Adam Smith et l’argumentaire utilisé par nombre d’économistes pour expliquer que la non fixation des parités monétaires devait assurer un équilibrage stable entre les économies)
Or la Réserve Fédérale en décidant d’acheter sur le Marché des Obligations « Corporate » et des Bons du Trésor (Treasury bonds et bills ) a pris la décision de contrôler de facto le Marché des taux longs. Comme elle gère légalement actuellement les taux courts, la Fed contrôle l’ensemble du domaine monétaire national et du fait de son rôle international a une influence sur le reste du Monde.
Mais pour comprendre la situation actuelle il faut faire plusieurs remarques :
i ) Le taux ne peut être négatif que pour deux raisons :
1 ) La spéculation sur les monnaies.
Ainsi l’Euro allemand et même un peu l’Euro français peuvent avoir des taux à 10 ans négatifs si l’on envisage une rupture de la Zone Euro privilégiant ces monnaies par rapport au Dollar. De même le Franc Suisse ou le Yen ayant une balance des paiements excédentaire ont tendance à vouloir monter par rapport à la monnaie de référence d’où également des taux négatifs. Ceux-ci se corrigeront d’eux-mêmes soit que la spéculation abandonne l’espoir de hausses des monnaies concernées soit que les monnaies concernées montent par rapport à la monnaie de référence (à l’heure actuelle le Dollar).
2 ) Suite à la Révolution Bernankéenne, il pourrait y avoir une modification de l’état d’esprit du public. C’est-à-dire que le public s’y habituerait. Ce serait un retour à la conception de la Renaissance où le dépôt d’or chez des « Goldsmith » était rémunéré. Il y aurait alors un règlement financier en contrepartie de la conservation du dépôt des clients. Cela pose un réel problème dans le contexte des Cryptomonnaies détenues dans des Chaînes de blocs (Blockchains) sans mode normal de contrôle par le autorités financières nationales et/ou internationales. C’est surtout le cas de la « Libra », Cryptomonnaie envisagée par Facebook qui aurait au départ la possibilité d’ être détenue par plusieurs milliards d’individus dans le monde facilitant ainsi le rôle de cette monnaie pour les transactions internationales mais elle pourrait assurer à terme d’autres fonctions.
Comme ce deuxième point c’est à dire l’acceptation d’un monde Aristotélicien sans « intérêt » est très théorique, on voit que des taux négatifs sont des anomalies difficilement durables.
ii ) La relation entre taux courts et taux longs.
On s’aperçoit que ce taux de 0 % à 10 ans (ou à des taux voisins, le 2,5 % américain par exemple) dépend entièrement de l’importance de la masse monétaire et de la vitesse de rotation de la monnaie. Cette dernière dépend du degré de confiance des individus envers la dite monnaie. Cela conduit à deux remarques :
A) Le taux long est, dans l’analyse économique classique, lié au taux court. La hausse de ce dernier provoque généralement un malaise économique, une baisse des investissements et en cas d’inflation un moyen d’essayer d’assurer son ralentissement.
Dans la situation présente les taux courts sont situés dans la zone dite « trappe de liquidité », zone où le taux court entraine un taux long inférieur à un certain taux dit « naturel ». Dans cette zone, le taux court a peu d’influence sur les politiques d’investissement des entreprises car le bénéfice espéré d’un investissement est au moins de l’ordre de 10 %, donc un mouvement de quelque pourcents est relativement peu sensible. Milton Friedman fixait ce taux « naturel » à 3 % en terme réel ( moyenne réalisée sur plus de 100 ans). On voit ainsi que, dans les conditions actuelles, les taux courts ont peu d’influence sur l’investissement qui dépend essentiellement de l’ampleur de la masse monétaire « gérée » par les Banques Centrales quand elles achètent ( ou cessent leurs achats ) de titres de « dette d’entreprise» et de « Bons du trésor ».
B) On ne peut pas faire abstraction des secteurs où les taux courts gardent une forte influence. Ce sont la Bourse et l’investissement privé.
Dans le premier cas un changement de taux provoque des fluctuations de la Bourse qui durent quelques jours, le temps de s’apercevoir que la décision de la Banque Centrale est parfaitement raisonnée Ainsi une hausse de taux court provoque pendant quelques jours une baisse du marché boursier, baisse qui est corrigée dès que l’on s’aperçoit que la décision d’élever les taux courts correspond à une amélioration des résultats des entreprises et le marché corrige alors la baisse qui s’était produite.
L’investissement privé souffre plus lorsque les emprunts sont à taux variable ce qui (hors France où les individus empruntent généralement à taux fixe) est le cas le plus fréquent dans le Monde.
On voit ainsi que les mutations de taux courts administrés par les autorités monétaires ont des effets sur la fortune des particuliers et les entreprises pour leur endettement à court terme mais n’ont aucune influence sur les taux longs qui sont de plus en plus administrés.
iii) Si ces taux longs deviennent durables, Olivier Blanchard leur donne au minimum dix ans d’existence, il faudra que les institutionnels assurent leur rentabilité sans pouvoir profiter de l’emploi des dépôts de leurs clients. Les Banques et les Assurances devront augmenter leurs commissions (quitte à profiter de ces hausses le jour où les taux longs remonteront).
b ) Les principes de la M.M.T.
La M.M.T. part d’une idée de base : on fait « fausse route » en recherchant à limiter l’endettement des Etats et à assurer l’équilibre des Comptes. Pour cela on va chercher à justifier ce que les économistes classiques appellent du « laxisme » ou des politiques de « facilité ».Trois idées relèvent de cette notion de M.M.T.
i) Il faut obtenir un taux d’inflation minimum pour assurer la réduction des dettes sans que cela soit perçu par le public comme étant « sensiblement » une perte de pouvoir d’achat. Olivier Blanchard alors conseiller économique du Fonds Monétaire International a proposé d’inciter les Etats à prendre des mesures pour atteindre un taux d’inflation de 4%. A l’heure actuelle les Banques Centrales ne vont pas aussi loin, mais recherchent un taux de 2%. IL faut noter que pour un taux annuel de 2 % une monnaie perd en 10 ans 20 % de sa valeur et pour un taux de 4 %, la détérioration est de 38 % . Cela réduit sensiblement les dettes, celles qui sont à taux fixe et même partiellement celles qui sont à taux variable .Par ailleurs, depuis la crise de 2006/2008 la FED a donné l’exemple d’autres innovations en fixant ses décisions d’émissions monétaires en fonction de buts extra-monétaires (fixation d’un taux de chômage maximum ou plus récemment un taux d’inflation).
ii) Les défenseurs de la M.M.T. s’attaquent à la notions d’Austérité et même d’Equilibre Budgétaire. Ils considèrent que le succès allemand des mesures de Schroeder ne provient pas des mesures Hartz mais surtout du laxisme des autres pays. Cela a permis de sur-équilibrer la Balance Commerciale allemande. Par contre ils prétendent que si tous les pays pratiquaient une politique de restriction économique cela ne pourrait qu’entraîner une récession internationale.
Dans son article des « Echos » Olivier Blanchard défend certes les politiques de déficit budgétaire mais d’une façon très orthodoxe. Il distingue deux types de déficit , celui du déséquilibre dû à un coût trop élevé de la dépense publique courante qu’il condamne et celui d’emprunts en faveur d’investissements à long terme qu’il ne peut qu’encourager. Il va même jusqu’à considérer qu’il faudrait que les Pays aient deux Budgets l’un pour sa gestion courante l’autre pour ses investissements.
iii) Olivier Blanchard, au cours d’une conférence, a fait remarquer que si le taux de croissance d’une économie est supérieur au taux à 10 ans, ce qui est le cas actuellement aux U.S.A et un peu en Europe, les dettes deviendront moins dangereuses. En effet elles se calculent suivant le ratio : Montant de la dette/Produit National Brut. Aussi si le PNB augmente le ratio a tendance à se réduire.
iv ) Le quatrième argument est politique. C’est la montée des Populismes due à deux phénomènes :
1) l’échec relatif des politiques d’austérité.
Rappelons le souvenir des mesures déflationnistes de Pierre Laval en 1935 qui ont provoqué le Front Populaire et un laisser-aller financier du gouvernement socialiste. Les relatives politiques d’austérité sont partout impopulaires et provoquent une montée des mouvements populistes.
2 ) l’appauvrissement de la classe moyenne.
Le fantastique développement des technologies et en particulier de la robotique et de l’Intelligence artificielle tend à rendre désuet un grand nombre de métiers; secrétaires caissières etc. Dans le domaine financier on a tendance à remplacer beaucoup de Conseillers en Gestion par des « Agents conversationnels ou Robots Advisors ». Quant à Goldman Sachs il a remplacé ses 600 « Traders » par 2 traders accompagnés par une cinquantaine d’ingénieurs informaticiens de haut niveau.
Chaque pays est un cas d’espèce : L’Amérique a les adeptes du « Tea Party », les Anglais ont les individus qui ont voté en faveur du Brexit, la France les « gilets jaunes » mais on peut en tirer deux conséquences :
I ) Le protectionnisme leur parait la solution à leur malheur .(Cela rappelle les canuts de Lyon détruisant des machines textiles.)
II) Un certain déficit budgétaire ne fait plus aussi peur grâce à une mauvaise interprétation de la pensée de la MMT qui encourage le déficit budgétaire pour l’investissement public mais non pour la gestion courante.
Ainsi les Etats-Unis, sous la direction « populiste » de son Président, développent leur pays sur la base de mesures protectionnistes qui rappellent le tarif Hawley-Smoot de Juin 1930 qui a aggravé considérablement la crise mondiale sans résorber celle des U.S.A.
Par ailleurs l’Amérique pratique une politique de déficit budgétaire systématique (4,7 % du Produit Intérieur Brut en profitant du fait que le Dollar est jusqu’à présent la seule « Monnaie de réserve » dans le Monde). Enfin l’existence d’une masse monétaire aussi importante facilite l’endettement des particuliers et les investissements . Les autres mouvements Populistes cherchent à imiter les Etats-Unis. L’Italie a un déficit budgétaire limité à 2,04 % de son P.I.B du fait des contraintes que lui impose Bruxelles montant qui ne peut qu’aggraver sa dette (130 % de son P.I.B ) ( 2,9 % du PIB). On ne connait pas encore la politique de l’Angleterre post « May » et encore moins celle qui suivra le Brexit. En tout cas ces politiques seront anti-austérité.
A contrario l ’Allemagne est le cas le plus intéressant. Profitant de la qualité de ses produits, elle a développé un modèle basé sur le laisser-aller de l’Europe du Sud, les faiblesses commerciales de l’Angleterre et des Etats –Unis et a même réussi à avoir une balance commerciale positive avec la Chine. Mais l’abondance d’Argent mondial ne lui sert pas à investir mais plutôt à accumuler des fonds.
2 La critique de la situation actuelle
La critique est facile elle porte sur plusieurs points :
a) La masse monétaire ayant augmenté de façon considérable, cela DOIT un jour provoquer de l’inflation. Lorsque l’on a créé les Assignats pour compenser les recettes de l’impôt qui n’arrivaient plus , cela a duré assez longtemps avant que l’excès d’Assignats ne crée une « Hyperinflation ». En fait le risque consiste dans la perte de Confiance dans la monnaie, c’est-à –dire actuellement le Dollar, au profit d’actifs réels, d’autres monnaies qui seraient protégées par leur politique de « sagesse » (style monnaie allemande ou suisse) et surtout l’or qui reprend actuellement de la « hauteur » grâce aux achats de certains pays (Chine, Inde) qui veulent se désengager politiquement du Dollar dans leurs négociations commerciales. Ainsi la Chine annonce aux Etats-Unis avoir vendu 20 Milliards de Dollars de bons du trésor (sur un montant d’un Trillion. ) et ont acheté 80 tonnes d’or.
b) L’endettement public et privé représente 250 % du PNB mondial .
Si l’on reprend l’analyse d’Hyman Minsky, ,il y aura un moment (le Moment Minsky) où le public s’apercevra de l’existence de cette masse de dette et voudra la régulariser ce qui provoquera un Krach Majeur.
c) Il y a un risque important souvent sous-estimé. C’est le fait que les Institutionnels recherchent des actifs de mauvaise qualité mais à fort rendement pour compenser les achats de titres souverains à rentabilité nulle qu’ils sont obligé d’acheter pour respecter les règlementations financières actuelles. Il est difficile de savoir si, en cas de récession les titres d’Etats achetés sous la contrainte suffiront à compenser les pertes sur titres risqués devenus totalement illiquides.
Malheureusement pour la logique, les deux premières critiques sont opposées : S’il y a inflation les dettes ont tendance à se résorber « naturellement » même s’il y a « euthanasie du rentier ». S’il y a une menace de krach il y a toujours la possibilité de reprendre la politique d’intervention de la Banque centrale.
Conclusion :
En apparence cette « Politique monétaire moderne » semble se résumer en une acceptation d’un laxisme certain en matière d’émission monétaire et d’équilibre budgétaire. Si l’on accepte ce mode d’analyse, on peut rappeler que lorsque le Président Ramadier couvrait par ses appels à l’épargne 50 % de son budget, il déclarait pratiquer une politique keynésienne.
Mais on doit faire plusieurs remarques :
I ) On est dans la partie « montante » de la courbe de Kondratiev c’est-à-dire que nous vivons une révolution économique comparable à celles qui ont accompagné les phases similaires du cycle kondratiévien (chemins de fer, électricité, chimie etc.). Les nouvelles technologies, les efforts en matière médicale, les dépenses anti-pollution doivent assurer un bon nombre d’années de croissance. La preuve en est que les pays qui ont fortement développé leur « robotique » (Allemagne, Grande-Bretagne, U.S.A, Japon, Corée du Sud) sont tous en état de « suremploi ».(Chômage inférieur à 4% de la population active et importante quantité de postes non pourvus).
II ) Cette courbe n’empêche pas l’existence de ralentissements ou de récessions temporaires. En effet on ne peut empêcher les excès de Crédit, même si ceux qui se produisent actuellement paraissent sans danger grâce à l’arsenal de mesures pour protéger le secteur financier. Par contre il existe deux types de dangers qui pourraient transformer ce petit ralentissement type cycle de « Juglar » en une vraie crise, c’est un excès mondial de protectionnisme qui empêcherait ou retarderait le développement de la « Recherche » ou, beaucoup plus grave, le risque d’innovations incontrôlables style « cryptomonnaies » ou, par les institutions un excès de prise de risques pour compenser le coût des règlementations.)
III ) S’il semble qu’il n’y ait aucun danger « d’inflation par la demande » car les possibilités de production dans le monde restent excédentaires, il peut y avoir une « hausse des coûts » quel que soit l’étendue de l’offre potentielle. C’est le cas de la main d’œuvre qui par des mouvements sociaux peut obtenir des hausses de salaires malgré l’ampleur du chômage et celui du pétrole dont la production est contrôlable par un petit nombre de pays. D’autres activités peuvent former des oligopoles mais ceux-ci ont moins d’importance économique.
IV) Il y a un élément qui semble devoir modifier très profondément les comportements économiques : la lutte contre la pollution et le réchauffement climatique.
Cela a deux conséquences majeures :
a) Une dépense qui va entraîner une baisse généralisée du niveau de vie mais également.
b) Un développement de l’emploi facilité par le « laxisme monétaire ».
Ainsi la « Théorie monétaire moderne » est une forme de « laxisme » efficace à condition que l’on émette assez d’argent pour que les taux restent durablement très bas. Cette situation est aidée par l’existence structurelle d’un monde exceptionnel d’innovations dans presque tous les domaines. Cela ne peut empêcher des ralentissements économiques dus à des excès d’endettements. lls ne devraient pas être durables mais cela suppose un certain nombre de conditions :
a) Une continuation de l’ouverture des frontières au commerce mondial permettant un enrichissement du monde entier (tout en luttant contre les mesures malsaines dangereuses pour la santé ce qui limite les possibilités d’accord).
b) Un effort de développement de la Recherche tous azimut.
c) Un combat contre les excès de règlementations qui poussent les entreprises à prendre des risques incontrôlés.
d) Et ce qui parait le plus difficile dans des démocraties : l’acceptation de baisse du niveau de vie. Cela est relativement facile par le jeu de l’inflation considéré comme un phénomène « externe » mais mal vu s’il s’agit de réaliser cette perte de pouvoir d’achat (par solidarité envers les pays pauvres et pour essayer de maitriser la climatologie) par une « amélioration » des taxations.