Le monde actuel parait totalement illogique. Le taux d’intérêt allemand à 10 ans est négatif de 0,40 % et pourtant il n’y a jamais eu autant de demandes pour souscrire de tels emprunts. Le taux de rémunération des dépôts bancaires auprès de la Banque Centrale Européenne est également négatif (-0,40 % ) et pourtant les banques y déposent plus de fonds qu’elles n’en ont l’obligation au nom des règlements européens.(Bâle III et bientôt IV)

Cette situation n’est paradoxale qu’en apparence. Elle est la conséquence des créations monétaires ( Q.E :quantitative easings I,II, et III aux Etats Unis), LTRO (Long term refinancing operations) I et II et QE en Zone Euro, etc…) faites pour résorber la crise de 2007/2008 dans le monde et en 2016 un TLTRO (T pour Targeted) pour solder celle de 2012/2013 en Europe, sans parler des mesures prises au japon par Shinzo Abe pour arrêter la déflation commencée en 1998/1999.

Il faut tenir compte de deux données de base d’analyse économique.Sur la longue durée nous sommes dans la phase ascendante du cycle de Kondratiev caractérisée par un développement exceptionnel de l’innovation (Internet, robotique , nanotechnologie, etc… mais également par les mesures à prendre pour résorber les déchets, réduire les productions de quantités de gaz issues des progrès techniques etc… ). Il faut noter une particularité : tous les pays qui ont suffisamment développé leur robotique sont en suremploi (Allemagne, Pays-Bas, Royaume-Uni, U.S.A., Japon, Corée du Sud, etc…) et manquent de personnel même non spécialisé. Dans le cadre de ce développement spectaculaire à long terme, il y a depuis un an un ralentissement qui est très limité ( cycle de Juglar ) puisque tous les pays riches ont une croissance de leur P.N.B qui reste positive et même quelquefois atteint 3% comme par exemple l’Espagne ou la Tchéquie.

Dans ce contexte de cycle long très favorable et de modeste ralentissement, Les politiques volontaires d’émission monétaire provoquent une perturbation qui n’a pas vraiment été analysée. On mêle en fait deux théories :
a) l’une classique, la baisse des taux à 10 ans indique l’existence d’une crise économique et lorsque le taux long passe même au-dessous du taux court c’est l’indication d’une future crise,
b) l’autre non conventionnelle, on considère que à des taux très bas, le problème se limite à la taille de l’émission monétaire tant que, malgré la théorie quantitative, l’inflation refuse d’apparaitre.

Aussi pour comprendre la situation actuelle il faut analyser ces deux approches et voir comment dans la pratique elles s’interpénètrent.

I - La thèse classique

Si l’on simplifie à l’extrême, la théorie classique repose sur deux idées majeures :
a) Il y a un lien entre la croissance de la masse monétaire et la hausse des prix. Si pour des raisons politiques (lutte en Allemagne contre l’occupation de la Ruhr ) ou économiques (impôts devenus « volontaires » au début de la révolution de 1789 ) on a émis volontairement des Reichsmarken ou des Assignats, on a ainsi crée artificiellement une Hyperinflation) c’est-à-dire que l’inflation est devenue incontrôlable. Même si ce type d’inflation est toujours dû à des causes exceptionnelles, il fait peur et incite les Etats à vouloir contrôler l’émission monétaire (exemple aux USA l’existence d’un « plafond » fixé par le Sénat ). Aussi dans cet état d’esprit on voit un certain nombre d’économistes espérer que l’on va continuer la politique de limitation de la masse monétaire telle que Jérôme Powell l’a commencée …et suspendue devant l’apparition du léger ralentissement actuel.
b) Les taux longs sont en parallèle avec les désirs d’investissements. Depuis les années 50 la FED n’a plus le pouvoir de  « manager » les taux longs. Certes la Banque centrale a un rôle important. Si elle monte ses taux courts, cela devrait provoquer une peur d’investir chez les chefs d’entreprises, un ralentissement de l’investissement et une baisse des taux longs. Donc on peut conclure que, généralement, la baisse des taux longs reflète un sentiment de crainte de crise et par conséquent provoque la crise elle-même. Or il s’il y a bien un effondrement des taux longs qui aux États-Unis passent au-dessous des taux courts, il n’y a pas vraiment de crise. Il faut donc chercher une autre explication C’est la thèse non conventionnelle actuelle.

II - La thèse non conventionnelle

La période actuelle présente des différences avec les périodes précédentes :
a ) le Monde est fondamentalement « ouvert » même s’il y a de plus en plus de pressions pour demander un renouveau de protectionnisme (une des revendications des populistes). Cela crée une offre presqu’illimitée, sauf pour des biens non reproductibles qui subissent alors une forte augmentation ( Immobilier de Centre Ville ; objets d’art etc ) et cela empêche la hausse des autres produits. La crise vient d’après Knut Wicksell non de la surproduction mais de la sous-consommation des individus pauvres, d’où l’idée de créer de l’ « Helicopter money » c’est-à-dire un « minimum social » pour tout le monde
b ) Ben Bernanke et Henry Paulson ont découvert qu’en période de crise on pouvait augmenter la masse monétaire sans provoquer d’inflation( les Q.E.). En effet si l’on reprend l’analyse de John Hicks concernant l’inflation, il faut distinguer « l’inflation de demande » impossible pour le moment suivant l’analyse précédente présentée et « l’inflation de coût » essentiellement salariale. Or celle-ci a du mal à se développer dans la mesure où le ralentissement de l’investissement industriel et le développement des nouvelles technologies incitent à une détérioration de «  la courbe de Gini » en « prolétarisant » la main d’œuvre non spécialisée.
Bien entendu ces deux types d’approche ne sont pas totalement séparés, c’est leur combinaison qui permet de comprendre la situation actuelle

 III - la combinaison des deux approches

Tout le monde est d’accord pour dire que cette situation est dangereuse. En effet la faculté d’emprunt, vu l’ampleur de la masse monétaire, entraîne une augmentation de l’endettement public et privé. Il atteint actuellement 250 % du PNB mondial. Si on reprend l’analyse d’Hyman Minsky on devrait avoir un Krach majeur le jour où l’on se rendra compte de l’étendue de cette dette. Or il n’en est rien puisque l’on peut continuer à émettre des dollars. Le risque devient alors double : une conservation durable de taux négatifs et/ou l’apparition de l’inflation. Mais ce second problème est limité. En effet la remise en cause du dollar, si les émissions s’aggravent entrainant un manque de confiance dans le Dollar, est difficile car on peut difficilement trouver à l’heure actuelle une monnaie de remplacement. En effet la seconde monnaie de réserve, l’Euro, est gênée dans son développement par l’ampleur des bénéfices de la Balance des Paiements de la Zone euro, ce qui crée une « pénurie » de cette monnaie dans le monde.

Conclusion

Ainsi le danger majeur est la conservation sur une assez longue période de taux négatifs , au mieux voisins de zéro. Cela devrait entraîner une modification des comportements de la part des détenteurs de fonds.
a) Les institutions et les particuliers devraient être obligés d’utiliser une partie plus importante de leurs fonds en actions (ou titres similaires,) les sociétés utilisatrices pouvant facilement se développer à un coût minime.
b) Les institutions obligées de conserver « grâce aux diverses règlementations » une grande majorité d’obligations à rendement nul (ou même négatifs seront obligées d’assurer leur financement par des augmentations de « commissions » . Cela rappelle la situation au XV-ème siècle des Goldsmiths qui n’acceptaient des dépôts de la monnaie de l’époque ( C’est à dire de l’or ou de l’argent) qu’avec le paiement d’une commission pour en assurer la conservation.
On voit qu’alors le système pourrait assurer le développement harmonieux de la « nouvelle économie » , mais il faut craindre que le développement des populismes ne remette en cause cette situation

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Jean-Jacques Perquel