« Qu’est-ce qu’une crise ? C’est ce qui sépare deux périodes de prospérité ».
Cette définition de Robertson est une réponse à la formule ironique de Kenneth Rogoff et Carmen Reinhart. « Cette fois c’est différent ». De tout temps, le progrès a provoqué des destructions d’activité ce qui est un drame pour les personnes licenciées, d’où les révoltes comme celles des « Canuts » de Lyon en 1831 et 1834 puis en 1848 contre l’emploi des « métiers Jacquard ».
Mais pour reprendre la formule de Joseph Schumpeter des « destructions créatrices » c’est une évolution normale. Aussi les Autorités doivent intervenir pour essayer de résorber les difficultés humaines produites par cette situation.
Les crises « de longue durée (30 à 40 ans) » répondent parfaitement à l’analyse schumpétérienne. Elles suivent le même schéma : une série d’innovations entraine une euphorie qui convainc le public que la vie va être favorablement et durablement transformée. Pour fabriquer ces nouveaux produits les industriels s’endettent « sans risque » puisque leurs usines sont des biens solides, visibles, donc qui « doivent » assurer une garantie parfaite aux crédits utilisés. Malheureusement Hyman Minsky a montré qu’il y a un moment, appelé depuis « moment Minsky », où la production des nouveaux produits dépasse la demande. Les crédits ne peuvent plus être remboursés. Il y a crise financière. Mais si l’on suit l’analyse d’Hyman Minsky on s’aperçoit que dès qu’il y a crise les biens « investissables », pour prendre une formulation actuelle, deviennent des biens spéculatifs et les investissements normalement considérés comme spéculatifs deviennent « Ponzi » c’est-à-dire très risqués, tandis que les contrats dits ‘Ponzi’ dans la période de développement normal sont défaillants.
Envisageons les trois dernières « crises de longue durée » 1770/1789,1866/1895 et 1929/1939, crises qui ont précédé la dépression actuelle. Voyons les causes de ces crises et les solutions qui ont assuré le retour de la prospérité. Partant de cette analyse, étudions la crise actuelle et surtout essayons de comprendre comment le développement du « populisme » peut retarder la reprise.
I. Le caractère « classique « des débuts de crise.
Les trois crises ont des débuts semblables
La fin du XVIII ème siècle est marquée par une transformation de l’agriculture (Utilisation du Maïs, début des cultures de la pomme de terre et de la betterave sucrière (Allemagne (1747), France (1786), amélioration des races de bétail, créations des « fours à poulets » (devenus des « couveuses artificielles). Au plan industriel la machine à vapeur fait une véritable révolution. Les fours à coke datent de 1760. En matière de textile le « métier à tisser jenny » arrive en France en 1764. La chimie se développe, le chlore vient d’Allemagne vers 1774, la soude commence à être produite en France dès 1780 et l’acide chlorhydrique inventé en Angleterre est produit industriellement en France dès 1774.
La dernière partie du XIX ème siècle subit une transformation similaire. Le développement des chemins de fer entraîne un essor de la métallurgie. Dans le même temps se développent la chimie et l’industrie textile (la consommation de coton en France passe de18.000 tonnes vers 1815 à 86.000 dans les années 65, de même pendant la même période la production française de fer augmente considérablement). Mais vers 1860 les industriels de chemins de fer sont de plus en plus obligés de rechercher des clients de plus en plus impécunieux donc de prendre de plus en plus de risques.
A la troisième crise correspond le développement de l’Automobile, de l’électricité, du téléphone. Les zones de nouvelle industrie (le sud de l’Angleterre par exemple) résistent très bien pendant toute la crise.
II. L’évolution financière des crises.
L’essor économique issu des nouvelles inventions provoque dans tous les cas un excès de développement du crédit suivant l’analyse de Minsky.
Deux cas peuvent se produire :
a) Cette euphorie financière peut provoquer de l’inflation incitant la Banque Centrale à resserrer le Crédit et cette mesure sert de catalyseur à un Krach boursier (1929 aux Etats-Unis par exemple)
b) L’augmentation de la masse monétaire n’est pas inflationniste même s’il y a distribution de fonds (Calonne en 1785). Il existe d’autres catalyseurs ainsi ce sont les famines des dernières années du XVIII ème siècle qui provoquent l’explosion de la Révolution Française. Chaque crise entraîne des faillites bancaires. Malgré le souvenir de Law, la première banque française de la deuxième moitié du XVIII ème siècle, la Caisse d’Escompte, est en grande difficulté dès 1788. Au cours de la « Grande Crise » (1866-1895), on a en 1866 les défaillances d’Overend Gurney et du Crédit Mobilier. Un peu plus tard l’Union Générale est obligée de déposer son bilan (1882) Plus grave « Baring » la principale banque anglaise, celle qui avait financé le plus gros des indemnités payées lors de la liquidation de l’épopée Napoléonienne, est mise en difficulté. La Banque d’Angleterre doit intervenir en se faisant aider par les principales banques anglaises.
III. Les conséquences des crises.
L’euphorie des innovations a parfois créé de l’inflation, en tout cas une augmentation de la masse monétaire qu’elle soit d’origine interne (expansion du crédit) ou externe (découvertes de mines d’or). De toute façon la Crise provoque un effondrement de la vitesse de circulation de la monnaie. Donc malgré une hausse anormale de la masse monétaire le produit de cette masse par la vitesse de rotation de la monnaie est en forte baisse.
Les « sorties de crise » sont de trois types :
a) en ne faisant rien, c’est la politique de Lord Overtone et des autres membres de la « Currency School » Cette politique est efficace. Elle provoque bon nombre de faillites qui réduisent l’offre et l’adapte ainsi à une demande réduite. Mais elle ne tient pas compte des problèmes humains socialement trop durs et d’autre part peut entraîner des difficultés financières de sociétés parfaitement saines. Ainsi ni la Banque de France ni le gouvernement n’ont voulu sauver le Crédit Mobilier, mais la banque de France a été obligée d’intervenir pour sauver le Comptoir d’Escompte en 1889 pour ne pas risquer une aggravation considérable de la Crise économique. De même la liquidation de la Banque Herstatt en Allemagne a provoqué une série de faillites, sans parler de celle de Lehman qui a conduit Hank Paulson et Ben Bernanke à intervenir pour sauver tout le secteur bancaire américain.
b) En créant une masse monétaire supplémentaire pour compenser l’effet dramatique que représente l’effondrement de la vitesse de rotation de la monnaie. Dans ce cas on réadapte la demande à l’offre de produits. La grande difficulté vient du fait que les bénéficiaires de cette « manne » ne l’utilisent pas à bon escient (carry trade, spéculation sur objets d’art, etc..) cela a été la difficulté des deux premiers assouplissements quantitatifs « Quantative Easing ».
Pour éviter l’inconvénient précédent l’Etat peut intervenir directement pour que l’argent qu’il crée soit utilisé à bon escient. C’est parfois un échec (les ateliers Nationaux sous la Deuxième République ou les sinistres workhouses anglais). Mais cela n’empêche pas de grandes réussites comme la « Tennesse Valley Authority » ou la construction du « Boulder Dam » dans le cadre du New deal / La Nouvelle donne.
Malheureusement le public n’a pas toujours le courage d’attendre que réussissent les « expériences » lancées pour résorber la crise et accepte des régimes qui lui promettent un résultat « garanti » à base de protectionnisme, de dévaluation monétaire et de retour à un « monde ancien ». Cela rappelle la formule de Talleyrand « qui n’a pas connu l’Ancien régime n’a pas vécu » et la fable d’Esope « des grenouilles qui demandent un roi ». Ainsi la crise de 1929/39 a provoqué la création de régimes dictatoriaux (Italie, Allemagne, Espagne et Portugal)
IV. L’état de la crise actuelle (2000 - date inconnue), à l’aube de l’année 2017.
Le développement des innovations provoque des destructions massives d’activités grandes utilisatrices d’une main d’œuvre dont une grande partie est « non qualifiée ». Aussi pour analyser la situation il nous faut considérer le cadre politique initial, les arguments des « populistes » les éléments de renouveau et étudier comment la montée des régimes populistes ou partiellement populistes gêne la reprise économique.
a) la situation actuelle
I) Il faut noter d’abord une différence majeure avec TOUTES les crises précédentes : c’est l’importance des mouvements migratoires. Pour la première fois (depuis l’époque romaine) sauf quelques mouvements sporadiques (déplacement des Grecs d’Asie Mineure, déportation des Israelites russes vers le Birobidjan, émigration vers Israël, etc.) il n’y a pas eu d’émigration de masse comme celle qui se produit à partir de l’Afrique, de l’Amérique latine ou, sous la pression des mouvements islamiques, à partir du Moyen-Orient. Ces émigrations provoquent un rejet par les populations indigènes des pays riches : Europe de l’Ouest, Amérique au Nord du Rio Grande, Australie, Nouvelle-Zélande. Les mouvements populistes ont donc un argument de plus pour prêcher l’autonomie des États et la fermeture des frontières.
II) Et en même temps, dans les pays occidentaux, le chômage reste très important 10 % en Zone Euro, et sensiblement plus en Europe de l’Est. Même dans les pays où le plein-emploi est à peu près réalisé (Allemagne, Grande-Bretagne, U.S.A) la période de creux de la crise a laissé un retard de salaires qui commencent à peine à reprendre (2,9 % de hausse moyenne aux U.S.A en 2015 après 4 ou 5 années sans augmentation malgré une hausse légère des prix). Cela donne aux employés et aux ouvriers un désir de « changement » vers un monde meilleur. L’idée de « fermer les frontières » pour lutter contre la concurrence de pays à bas salaires et à faible Sécurité Sociale est un argument peu réaliste mais électoralement assez efficace. Il est important en effet de préciser qu’il y a une grande différence entre pays. Si un pays a une économie suffisamment différenciée, une politique protectionniste pourrait être viable (Chine, Russie). Mais ce n’est pas le cas des autres pays car cette politique est rarement rentable .Ainsi, pendant la « Grande Dépression », les Américains ont voté le Smoot-Hawley Act (1930) qui augmentait fortement les droits de douane. Le résultat a été catastrophique. Les importations ont bien diminué de 66 % (au prix d’une sensible inflation) mais, par réaction des autres pays les exportations ont été réduites de 61 % (aggravant le marasme mondial … et américain.).
III) La crise financière a aggravé la « frilosité » des organismes de contrôle. Aussi on multiplie les « entraves ». Les différents « Bâle » et « Solvency II » rendent difficile l’activité des banques et des compagnies d’assurance européennes et gênent la reprise économique. Les mesures pour protéger la Santé deviennent insupportables. Un simple exemple financier : Une ouverture de compte dans les années 50 dans une banque était faite sur une simple feuille comportant les éléments d’identification du client et une ligne où il fallait cocher si l’on désirait un compte géré, conseillé où libre. En 1990 à la fin de la Compagnie des Agents de Change cette feuille était remplacée par un texte de six pages en trois exemplaires (que déjà personne ne lisait). « Heureusement » on a amélioré la situation en le remplaçant par un texte de près de 60 pages. On vient même d’inventer le PRIIPS qui obligerait les gérants de fonds de publier pour chaque titre qu’ils gèrent directement (ou indirectement) un Kid (c’est-à-dire une analyse prospective) de chaque titre détenu. Les « Generali » ont l’air de se plaindre alors qu’ils n’ont « que » 50.000 kids à établir (Il n’est d’ailleurs pas obligatoire pour les clients de les lire). Heureusement la date de l’application de cette directive a été … reportée. On comprend que Donald Trump veuille supprimer le Dodd-Frank Act (de 2.300 pages) que personne ne peut connaître correctement et par conséquent appliquer. Cette décision est excessive mais un réaménagement du corps règlementaire devrait dans tous les domaines être repensé pour assurer la meilleure efficacité économique sans avoir besoin de remettre en cause toutes les règlementations comme le désirent les populistes. Ainsi le foisonnement des règlementations des administrations régionales, de Paris, et de Bruxelles font un ensemble qui est « pain béni » pour les populistes. Il faudrait que les gouvernements de droite et de gauche s’engagent pour des simplifications qui aideraient considérablement les acteurs économiques.
b) L’approche « populiste » vient un peu tard car la reprise semble commencer. Le développement économique se fait dans des quantités de domaines « Technologies de l’information, Robotique, Intelligence Artificielle, Mégadonnées », « Blockchains », « Nanotechnologies », « Fintechs » etc. qui permettent à des quantités de jeunes diplômés de lancer des sociétés dont certaines vont avoir un grand avenir. Mais ce qui laisse supposer que la petite reprise mondiale actuelle est la bonne est le fait que l’on commence à se rendre compte que toutes ces inventions vont avoir des besoins de main d’œuvre même peu qualifiée pour l’entretien des machines, pour corriger les effets de la pollution dues à ces machines, etc. On est peut-être à la veille du moment où les mêmes gens pessimistes viendront nous dire « cette fois » c’est différent.
Malheureusement le mouvement « populiste » va gêner la reprise. Prenons le cas du Brexit. La Place financière de Londres est la première Place Mondiale du fait de la concentration des capitaux des banques du monde entier. Comme le Marché Commun a une puissance d’achat qui en fait le premier marché mondial, la coexistence Londres - Union Européenne a une très grande efficacité économique. Si Londres perd avec le Brexit une partie des banques étrangères qui font sa fortune, il peut y avoir dépérissement d’autant que l’Angleterre est très dépendante pour son développement de ses importations (avec une Balance des Paiements désastreuse mais qui est payée par les investissements des étrangers) et de ce fait va subir une détérioration du pouvoir d’achat de ses citoyens. Le cas des Etats-Unis est un peu moins mauvais. La création de nouvelles taxes à l’importation à l’égard de certains pays étrangers devrait provoquer des difficultés à ces pays, renchérir le coût de la vie aux U.S.A même si cela améliore pour un temps le solde des échanges. Le vote du référendum italien va handicaper son économie comme le vote hollandais si le P.V.V .de Geert Wilders gagne les élections ou Marine Le Pen en France.
Conclusion
Comme toutes les « Crises de Longue Durée » la crise actuelle devrait se terminer par une période d’essor. Certes le problème posé est double ;
a) La reprise actuelle est-elle la vraie reprise c’est-à-dire une période où le plein emploi est la « norme » comme en Allemagne à l’heure actuelle et où l’on réussit à intégrer les populations d’émigrés comme l’Allemagne essaye de le faire ? Il y a pour cela des éléments très favorables : la multiplication des start-ups, la quantité d’innovations dans les domaines médicaux, les besoins de développement agricoles pour faire face à l’augmentation de la population etc.
b) Si les gouvernements de droite et de gauche ont en général bien compris l’ampleur du problème sans avoir toujours le courage de réaliser les réformes les plus utiles, il n’en est pas de même des mouvements populistes dont l’analyse démagogique et « courtermiste » repose sur trois approches :
1) La « Nation » en rappelant le souvenir des héros du pays « que l’on ne doit pas abandonner ».
2) La « Protection économique » par la fermeture des frontières au bénéfice des entreprises exportatrices mais au détriment des entreprises importatrices et par l’inflation crée de l’ensemble de la population.
3) L’usage généralisée de promesses démagogiques. Ainsi les « Brexiteers » ont promis que les sommes actuellement payées à l’Europe seraient versées au « National Health Service » pour avouer « naturellement » le lendemain du vote « que cela n’était pas envisageable ».
On voit ainsi que l’on peut légitimement espérer que la reprise continue mais en admettant en même temps que des victoires populistes rendraient cette évolution plus aléatoire et aggraverait considérablement la récession interne.