En 2015 les entreprises françaises du CAC 40 ont augmenté leurs dividendes de plus de 11 %. Or les bénéfices de ces mêmes titres n’ont été en hausse que de 3,9 %. Ainsi ces entreprises ont distribué 75% de leurs bénéfices après impôts ce qui est insuffisant pour le développement de leurs investissements et trop élevé si l’on fait des comparaisons internationales. Ainsi la Suisse n’a augmenté sa distribution de dividendes que de 5,1 % et l’Allemagne de 2 % seulement.
On peut donner à ce phénomène plusieurs explications : La France se croit encore en crise et les entrepreneurs n’osent pas investir. Par ailleurs ils ont peur de conserver des liquidités à un moment où règnent des taux négatifs (qui pourraient même encore baisser). Les manageurs se sentent surchargés d’impôts et cherchent à compenser cela en augmentant au maximum la distribution de dividendes. Mais peut-être surtout le fait que 54 % des titres du CAC 40 sont détenus par des fonds étrangers qui s’intéressent à des distributions importantes et sont indifférents à l’avenir des sociétés dans lesquelles ils investissent (dans une vue à court terme).
Il nous faut analyser ces différentes approches et voir quelle politique on pourrait mener pour inciter les chefs d’entreprises à privilégier le long terme.
I) La peur de la continuation de la crise.
La France profite d’une lourdeur administrative exceptionnelle et d’un taux d’impositions tout à fait remarquable. Cela a plusieurs conséquences : une fuite des capitaux privés et un effort de certains jeunes entrepreneurs à chercher fortune hors de France. Cela entraîne un manque de fonds privés d’autant que, grâce au développement de « l’esprit de précaution », 95 % de l’épargne va indirectement vers des fonds publics et directement vers l’immobilier. Bien plus les fonds fournis par la B.C.E. grâce à l’Assouplissement Quantitatif (Quantitative Easing) provoquent surtout une reprise de la consommation et … du déficit de la Balance Commerciale. Aussi la France profite peu de la reprise économique. Cela n’encourage donc pas les chefs d’entreprises à investir.
Il y a en outre une autre considération. L’économie est en train de changer, les industries traditionnelles déclinent, remplacées par des entreprises dépendantes de la révolution informatique. En particulier le « Blockchain » devrait faire disparaitre un certain nombre d’activités d’intermédiation et « l’Intelligence artificielle » aura des conséquences encore plus importantes. Aussi on peut comprendre l’hésitation de chefs d’entreprises de redévelopper leurs activités industrielles. Malheureusement la France n’a plus que 11 % d’activité industrielle et perd régulièrement des rangs dans la concurrence internationale. (Et la baisse de l’Euro ne suffit pas à elle-seule à relancer des secteurs de produits exportables …secteurs qui ont parfois disparu.)
2) Les explications traditionnelles
D’une part les chefs d’entreprises sont accablés d’impôts (les impôts sur le patrimoine représentent, d’après Eurostat, 4,5 % annuellement contre 1 % en Allemagne). Ils peuvent chercher à compenser leur baisse de pouvoir d’achat en augmentant au maximum les distributions de dividendes. Cela présente l’avantage d’aider à maintenir un cours de bourse élevé ce qui est utile pour des augmentations de capital mais aussi, indirectement, pour toutes émissions obligataires (et bien entendu celles qui sont convertibles.)
D’autre part la baisse des taux des opérations à taux fixe entraîne un appauvrissement des investisseurs pour la part de leur portefeuille dans ces types de placement. Aussi les entreprises cherchent à « réintéresser » les investisseurs à prendre des risques c’est- à-dire acheter des actions (ou souscrire à des actions nouvelles). Mais cette approche est limitée par la maladie bien française que l’on appelle « l’esprit de précaution ».
3) La cause fondamentale
La raison majeure tient à l’importance des achats des fonds étrangers. (Fonds de Pensions, Hedge Funds etc.). Or leur politique est toujours à court terme. Prenons un exemple : Philippe Jaffré alors Président d’Elf-Aquitaine racontait sa rencontre annuelle avec la Société Calpers le plus gros fonds de pension américaine et le principal actionnaire de la Société . Les représentants de Calpers n’assistaient jamais aux Assemblées Générales mais venaient la veille avec une étude très approfondie de la société, faisaient la liste des filiales ayant une rentabilité faible ou négative et exigeaient leur liquidation sans s’occuper de savoir si elles avaient un intérêt pour le développement à long terme de l’entreprise. Cette anecdote explique pourquoi l’abandon par les épargnants français de la majorité des fleurons de l’activité économique a pour conséquence la distribution de dividendes trop élevés. Et cela pèse sur l’avenir de notre économie (on peut ajouter discrètement à cela que l’État qui critique, à juste titre, la politique de hauts dividendes a un comportement similaire avec les sociétés dont il est un des principaux actionnaires).
4) La solution
Elle est évidente mais très difficile à appliquer : il faut diminuer considérablement l’assurance vie à taux fixe, le placement de caisse d’épargne ce qui obligerait les gouvernements à réduire leurs dépenses (actuellement 57 % du P.I.B). Mais il faudrait également inciter les Français à concevoir l’importance du Risque puisqu’avec des taux très bas et sans doute durables même s’ils remontent un peu, la « peur du risque » ne peut que ruiner les détenteurs de produits à taux fixe même si ces produits sont indexés. C’est donc une transformation fondamentale des concepts sur lesquels est basée l’économie française. On peut espérer que cette transformation aura lieu.