A l’origine de la finance moderne les « Templiers » et les « Goldsmiths » anglais étaient détenteurs des réserves d’Or et d’Argent des Gouvernements et se faisaient rémunérer pour ce service .Ce sont des cas typiques de taux d’intérêt négatifs puisque ces métaux étaient au Moyen-Age les formes normales de la monnaie. Par contre dès que ceux-ci utilisaient les fonds déposés chez eux pour aider au rachat de prisonniers ou faire des « prêts à la grande aventure » , ils se faisaient rémunérer à un taux positif et croissant en fonction de la durée et du risque. Or à l’heure actuelle les taux des emprunts sont pour les monnaies «fortes » de plus en plus négatifs. On donne à cela une explication simpliste : on a émis beaucoup d’argent grâce aux « Quantitative Easings Q.E.s» américains, leurs équivalents Anglais et Japonais et maintenant la Banque Centrale européenne B.C.E.les imite  avec une grande prudence (seulement 60 milliards par mois). En fait, il faudrait retourner l’analyse en tenant compte de l’exemple historique des monnaies métalliques : il n’y a pas assez de dynamisme dans les pays à monnaies fortes pour utiliser à bon escient les fonds qui ont été « inventés ».Mais ce raisonnement est un peu limité. Il faut aller plus loin et voir pourquoi les fonds ne trouvent pas de débouchés rentables qui justifient des taux positifs. Pour cela il nous faut analyser les dérives financières qui tentent de rendre inefficace la politique neo-keynésienne actuelle, les conséquences économiques des décisions  de Banques centrales  qui entraînent l’existence de taux négatifs  et les efforts pour ranimer la confiance, seule solution à un retour à une situation « normale », c’est-à-dire où des taux positifs et hiérarchisés assurent un développement durable.

I. Les dérives de la Finance

Elles sont de deux styles : la déformation des innovations financières et les politiques anormales des détenteurs des fonds.
A) dans le premier cas on trouve la mutation  d’innovations financières utiles mais que l’on transforme en outils de pure spéculation. Prenons deux exemples : Les « Credit Default Swaps C.D.S. », moyens remarquables d’assurance contre les défaillances en matière obligataire, ont été utilisés pour protéger la détention d’obligations souveraines. Mais  ils sont devenus des extraordinaires outils pour spéculer, déséquilibrer des entreprises et surtout attaquer les  Monnaies faibles. Les « Exchange Traded Funds » ont été à l’origine un moyen de premier ordre pour permettre au public d’acheter  à faible frais un bloc de titres représentés par leur « indice ».Malheureusement le jeu de la concurrence a incité les émetteurs à trouver des types d’E.T.F. beaucoup plus sophistiqués appelés « Smart alpha ». L’on inclut dans les portefeuilles de ces titres des produits dérivés pour en bonifier les résultats. Mais on prend le risque de se retrouver avec des masses de  « reproductions de titres » qui pourraient dépasser les montants émis par les entreprises créant ainsi des « corners » difficiles à « éponger ». Cela risque de faire subir aux investisseurs des pertes importantes. Mais il y a pire, on place dans le public des « Contracts For Difference C.F.D. ». Ceux-ci permettent d’intervenir en Bourse, sur les marchés des matières premières et celui des changes avec un important coefficient multiplicateur ce qui n’a aucun intérêt économique.

B) Les dérives dues au manque de « confiance »des détenteurs de fonds. Ceux-ci  sont souvent traumatisés par les pertes qu’ils ont pu subir au début d’une crise et le retour à meilleure fortune peut les pousser à rechercher, au fur et à mesure que leur trésorerie s’améliore, des usages de leurs fonds sans utilité économique. Ainsi se développe le  « Carry Trade » forme moderne de la spéculation internationale à court terme. Les opérateurs d’un pays recherchent au jour le jour des placements internationaux à taux plus élevés que ceux de leur pays, en espérant ainsi faire un bénéfice sur l’écart de taux et  sur la hausse de la monnaie achetée. Parmi les opérations inutiles il faut inclure celles des rachats d’entreprise dont le seul but est une augmentation de la taille de l’acquéreur et pire encore les achats « à n’importe quel prix » d’oevres d’art (quelquefois discutables).
En conclusion, on peut dire que la réussite des Q.E.s dépend du degré de confiance des utilisateurs de monnaie. Ainsi, il semble que les deux premiers Q.E américains aient été essentiellement gâchés dans les trois types de politique malsaine envisagées, seul le troisième Q .E.a permis le  démarrage que l’on constate actuellement. Aussi pour approfondir le problème il nous faut envisager brièvement l’analyse économique qui sous-tend l’existence de taux négatifs.

II) Retour à la théorie économique

On peut envisager deux types d’analyses :
a) Une première approche est volontariste .Imaginée par Silvio Gesell «commerçant Allemand prospère installé à Buenos –Aires » et popularisée par John Maynard Keynes, la théorie des taux négatifs  (ou monnaie fondante) consiste à faire perdre chaque année un certain montant, pénalité contre la détention d’espèces ou de dépôts liquides. Parmi les idées envisagées au « Fonds Monétaire International F.M.I. » existe la proposition de créer un taux négatif de 5 % sur les dépôts à court terme pour inciter les détenteurs de fonds à les utiliser (si possible dans un but économiquement utile ).Ce n’est pas tellement théorique puisque toutes les monnaies locales utilisent cette notion en prélevant tous les ans, en général, 2 % de la valeur de leur monnaie. Le but est double :inciter les habitants d’une ville à acheter de cette façon des produits vendus par les commerçants locaux ( en accordant un léger avantage aux utilisateurs de cette monnaie) et les pousser à ne pas la thésauriser. C’est dans cet esprit que les Suisses pendant une courte période ont pratiqué une politique de taux négatif.
b) La situation actuelle est différente. Les taux négatifs en Zone Euro sont la conséquence de la politique volontariste de la Banque Centrale, politique inspirée des réalisations neo-keynésienne américaine, anglaise et japonaise, car la situation de la Zone est marquée par un triple problème :a) le manque de « confiance » qui incite le public à ne pas investir, b)la ponction monétaire de l’Allemagne grâce à sa balance commerciale excédentaire à l’égard de l’Europe (un peu corrigé par le « trou de target 2 » que l’on évalue actuellement à 400 milliards d’Euros) et c)le double système Bâle III-Solvency 2 qui réduit considérablement les possibilités de création monétaire des Institutionnels.
En conclusion, on constate que ces taux négatifs sont condamnés à durer longtemps, même s’ils remontent un peu, du moins tant que le public n’aura pas repris assez confiance  et crée une reprise suffisamment forte. Prenons l’ exemple de l’immobilier français .Le taux à 30 ans pour le public est aux environs de 3 %.mais du fait de la « crise », les prix des appartements ont tendance à baisser. Le public a le choix entre profiter de taux exceptionnels et le risque de perte sur le capital investi. Si, sous l’influence d’achats étrangers par exemple, les prix remontent, le public se bousculera pour investir, les prix et les taux remonteront :la « crise immobilière » commencera à se résorber. Mais les taux resteront négatifs tant que le public n’est pas convaincu de la « qualité » de la reprise, aussi un problème reste posé :celui de la gestion des institutionnels.

II. Le problème posé aux Institutionnels.

Un exemple historique peut expliquer le problème. En 1980 et 1981 Paul Volcker à la tête de la Federal Reserve (F.E.D.) a monté le taux à court terme à 21 % et 18 % et cassé ainsi l’inflation issue de le deuxième crise pétrolière. Comme le taux d’usure dans l’Etat de New York (et sans doute dans d’autres états) était de 14 %, les « Saving & Loans (S&L)» ont rencontré de terribles difficultés. Ceux qui ont accepté de perdre de l’argent et de voir diminuer leur Capital ont parfaitement survécu, ceux qui ont voulu trouver des solutions par des opérations spéculatives ont fait des pertes beaucoup plus importantes. Ainsi lorsque l’écart de taux entre prêteurs (les clients des S&L) et emprunteurs sur le marché (les S&L) est négatif cela est dramatique si cette anomalie dure longtemps.
Dans le cas des taux négatifs la situation est à peu près semblable pour les institutionnels. Leur rentabilité est,  en plus, dégradée par les obligations Bâleo-solvency de détenir un certain montant de titres publics à rentabilité négative pour leurs emplois à court terme,à peine positive si l’on achète des titres du Trésor à échéance longue. En outre ces titres subiront des décotes très importantes dès que les taux remonteront. Aussi outre l’obligation pour les institutionnels d’acheter des obligations publiques plus ou moins longues, ceux-ci sont tentés par des achats d’ « Obligations Corporate » à taux d’autant plus élevés qu’on se rapproche des titres  à « Haut rendement »(Obligations pourries).Bien entendu il est aussi possible de rechercher des « dérivés » comme les « repos » les «  swaps »etc, dont le risque croit avec la rentabilité.
Mais les taux négatifs ont un autre inconvénient : ils déséquilibrent les gestions de portefeuille. En effet le meilleur mode de calcul d’une valeur mobilière est la valeur escomptée  au taux d’intérêt du marché des bénéfices prévisionnels d’une société. Or si le  taux est négatif comment peut s’effectuer cette évaluation ?

Conclusion

On voit ainsi :
1) qu’il faut faire une distinction importante entre des taux négatifs forts pour faire face à une crise majeure surtout à son début et des taux négatifs voisins de Zero imposés par des politiques Neo-Keynésiennes, taux qui sont alors subis et que l’on espère voir durer peu de temps.
2) que les victimes sont essentiellement les institutionnels et bien entendu leurs mandants.
3) que l’avantage économique pour l’ensemble d’une nation n’existe que si le public a « confiance » dans l’avenir. Alors la politique neo-keynésienne de création  monétaire permet à terme une amélioration de la « demande ». Mais pour que cette demande profite à l’économie et à l’emplois il faut que le pays soit capable de faire face à cette nouvelle « demande » si non elle va entraîner une détérioration de la Balance des comptes.

Ainsi l’existence de taux négatifs, corollaire possible d’une politique neo-keynesienne, présente de nombreux dangers, mais dans le contexte d’une crise de longue durée comme celle que nous traversons c’est un risque qu’il faut avoir le courage d’accepter en espérant qu’il s ’agit d’une situation qui ne doit pas perdurer.

Jean-Jacques Perquel 8 juin 2015