« Un bon banquier n’est pas quelqu’un qui anticipe le danger et l’évite. C’est quelqu’un qui se ruine de façon orthodoxe et conventionnelle en même temps que tous ses confrères afin de ne pas endosser la faute » John Maynard Keynes
Pour comprendre le rôle et l’utilité du marché financier il faut revenir aux considérations élémentaires. Il y a pour une entreprise deux problèmes : celui des flux (c.à.d. sa liquidité) et celui des stocks (c.à.d. ses investissements). Certes, sans liquidité, quelle que soit la valeur des actifs d’une société, celle-ci risque la faillite. Mais si elle n’investit plus, elle est à terme condamnée.
Toute société doit donc mener de front deux politiques en apparence contradictoires : garantir sa liquidité en utilisant des actifs très facilement négociables et l’utiliser pour investir des fonds (propres et/ou empruntés).
Malheureusement, la crise a été partiellement une « crise de liquidité » incitant les autorités monétaires à ne connaitre que ce problème. Cela incite les banques à faire du « Short Termism » et à réduire les fonds mis à la disposition des entreprises pour investir, surtout les petites et moyennes, qui ont en général peu de réserves pour garantir leurs emprunts.
Aussi, pour financer leurs investissements dans un monde dominé par Bâle III et Solvency 2, les sociétés doivent de plus en plus recourir comme en Amérique au Marché Financier, encore faut-il qu’il joue son rôle.
Pour l’analyser, il faut en voir les trois caractéristiques majeures dans le monde actuel : la notion de « Titrisation », celle du « Risque » et enfin celle de la « spéculation ». Mais il faut au préalable analyser les types de marchés qui forment actuellement la trame du Marché Financier.
I) Les Marchés
Avant 1975, les marchés étaient « réglementés » avec des monopoles relatifs, soit légaux (Bourse de Paris), soit par domination du marché principal (Londres ou New-York). Les opérations étaient simples : négociations de produits boursiers au comptant et à terme et quelques options.
Le « Mayday » de New-York (1975), le « Big Bang » de Londres(1986), le « Mini Bang » de Paris (1988) ont supprimé tout monopole. La Directive « M.I.F », enfin, a entraîné une distinction entre les marchés réglementés et ceux qui ne l’étaient pas : les « MTFs ».
La concurrence entre marchés réglementés et non réglementés, l’ouverture de marchés de produits dérivés devenus plus importants que les marchés de produits simples (actions et obligations), ont entraîné des vagues de fusions. « Nyse Euronext (capitalisation 2011 de 14,2 billions de Dollars) » couvre désormais une partie importante de l’Europe. Le « Nasdaq O.M.X » (capitalisation de 3,8 milliards) issu d’une bourse de New-York et de bourses de l’Europe du Nord s’étend également en Amérique et au Moyen-Orient. Si la bourse de Tokyo est restée autonome (3,3 milliards), suivie de près par le « London Stock Exchange - L.S.E » qui s’étend jusqu’en Italie (3,2 milliards), il en est de même pour les bourses de produits dérivés où dominent le « C.M.E » de Chicago, l’« I.C.E » d’Atlanta et Londres » et « Eurex », fleuron de la Deutsche Börse.
A côté des bourses, réglementées ou non, se développe un monde de « Proprietary Trading » c.-à-d. d’institutions qui négocient des blocs d’actions le plus souvent non cotées, totalement hors marché, mais leurs opérations doivent être incluses dans l’analyse du Marché Financier d’un Pays.
Dans ce contexte, les techniques de marché se complexifient, et à une époque où l’on désire, pour intéresser le public, une grande « transparence », on multiplie les opérations réservées à des initiés (« Black Pools », « High Frequency Trading » appelés plus communément « Flash Orders »).
II) Analyse des opérations
A) La titrisation
La titrisation consiste à diviser un produit en petites entités matérialisées par un titre ou plus simplement par une inscription. Celles-ci peuvent être vendues à des investisseurs incapables d’acheter la totalité du produit. Elles peuvent aussi être regroupées avec d’autres entités pour protéger les investisseurs contre des risques de disparition d’un seul produit dans lequel un investisseur a investi.
1) Les produits à risque maximum
Il s’agissait à l’origine des obligations (le « grand Parti de Lyon » au XVIème siècle, les rentes sur l’Hôtel de Ville un peu plus tard ou des obligations des entreprises « Corporate » à l’heure actuelle). Ces titres à échéance plus ou moins longue (il y a même eu des rentes perpétuelles) ont pris une importance énorme : titres échangeables en actions, indexés, avec des variantes de plus en plus complexes, obligations indexées, échangeables en d’autres obligations, en actions, avec des garanties dues à un accompagnement de clauses de produits dérivés, Euro-Obligations de droit international, SUKUK qui respectent la Charia, etc. Malheureusement, ces titres ont tous le défaut d’être remboursables à l’exception des obligations échangeables en actions et des « COCO » titres qui se transforment OBLIGATOIREMENT en actions si la Société émettrice a des difficultés financières.
Dès le XVIème siècle, les parts de commandites (prêts à la grande Aventure par exemple) ont été la première forme des actions. Celles-ci ont subi au cours des siècles des « aménagements ». Ainsi, a-t-on créé des titres sans droit de vote (defferred shares, certificats), ou avec des votes multiples. A ce type, on peut rajouter un titre qui n’existe plus : les parts de fondateurs (ou Bons de Jouissance), chargés de rémunérer les « apports en Industrie ».
Mais la titrisation porte sur un grand nombre d’autres produits comme les matières premières, le change (les échanges sur le Dollar peuvent atteindre 4.000 miliards/jour) ou des produits qui jusqu’à présent ne participent pas des marchés financiers comme les « cartes de crédit »ou l’immobilier (exception faite de certaines sociétés immobilières).
2) la consolidation des produits titrisés
A l’origine, nous trouvons les O.P.C.V.M.s (SICAVs et fonds Communs), portefeuilles de titres (bons du trésor, obligations et actions). En France, par esprit de précaution, tout endettement leur est interdit. Il n’en est pas de même en Angleterre où l’endettement d’un Unit Trust a été si important que cette société… a fait faillite.
Mais récemment on a imaginé des « Exchange Traded Funds (E.T.F.s) ». Comme les O.P.C.V.M.s, ces titres représentent des portefeuilles, mais ils ont principalement trois particularités :
a) ils sont cotés ce qui évite des écarts trop forts par rapport aux « benchmarks » qu’ils ont choisis.
b) sous les noms de « Exchange Traded Products E.T.P.s », ils acceptent tous les produits titrisables selon le benchmark qu’ils se sont fixé.
c) mais surtout coexistent des ETFs synthétiques qui incluent dans leur portefeuilles divers produits dérivés, soit pour améliorer leurs résultats grâce à un certain effet de levier, soit même pour permettre à leurs actionnaires de « jouer à la baisse » contre un portefeuille bien défini.
B) Le risque
La peur du risque correspond au développement de l’esprit de précaution. En théorie, les produits dérivés servent à « couvrir » le risque d’une opération. Par exemple, un importateur qui doit payer un achat dans une devise étrangère est heureux de pouvoir garantir la valeur de sa monnaie par rapport à celle du produit acheté.
A l’instar des opérations sur matières premières traitées à Chicago, Richard Sandor a imaginé d’utiliser leurs techniques pour traiter des produits financiers classiques en développant des opérations à terme « Futurs » et « Options » sur marchés réglementés « Forwards » et « Options » sur marchés « Over The Counter O.T.C. ».
Très vite les opérations OTC. sont devenues beaucoup plus sophistiquées. Les swaps de Change, opérations de contrepartie de devises à terme (et options), ont pris sur le marché une importance considérable (la position ouverte en décembre 2011 était de 63 billions de dollars), mais surtout les swaps de taux (échange de taux fixes contre des taux variables ou échange d’échéances sont devenus les principales opérations du marché O.T.C. (la position ouverte était à la même date de 504 billions de dollars).
Toujours dans le domaine des répartitions des risques et des couvertures de ceux-ci, on a imaginé « les Dérivés de Crédits », dont un des types les plus importants est le « Credit Default Swap c.D.S. ». Celui-ci était prévu pour permettre de juger du risque d’une entreprise, mais il s’est considérablement développé en cherchant à protéger les dettes souveraines des Etats (28 billions en décembre 2011).
C) La spéculation
Le développement des nouvelles techniques a permis à l’imagination des financiers de les utiliser dans un but spéculatif. Cela pose deux questions :
a) Est-ce rendu possible par une modification profonde de la structure des fonds disponibles ? Jusqu’aux différents « Bangs » la spéculation était limitée à des opérations sur matières premières et en Bourse par quelques options et opérations « à découvert ». Elle se limitait à environ 10 % des transactions et aidait la liquidité du marché. Depuis cette date les opérations spéculatives ont pris une ampleur exceptionnelle. Les utilisateurs de la Bourse insistent sur l’importance de la « liquidité » du marché, ce qui justifie à leurs yeux l’essor de la spéculation. En fait, on ne s’est pas rendu compte de la modification dans la détention de la masse monétaire disponible. On élimine peu à peu les actionnaires privés, traités de « Veuves de Carpentras », dont le nombre d’ailleurs en France, est passé en 5 ans de 6 millions à 4 millions. La détention de fonds est maintenant importante dans le secteur du « shadow banking » (OPCVMs, Hedge Funds, société de Proprietary Trading etc.). Ces opérateurs désirent acheter (ou vendre) des blocs de titres et n’ont plus le désir, malgré les possibilités énormes de l’informatique, de faire des opérations par petites quantités. De là vient le besoin d’augmenter constamment la liquidité des marchés. Mais une question se pose alors : est-ce vraiment utile de favoriser le shadow banking ?
b) Il faut distinguer la spéculation des Institutionnels et celle du Public
Pour les premiers, elle porte essentiellement sur deux types d’opérations : l’usage des algorithmes et des Flash Orders qui permettent d’opérer plus vite que les autres opérateurs. Cela n’empêche pas des bavures. Le 10 mai 2010 a eu lieu un krach dû à un algorithme mal calculé. Cette année la société Knight a pour les mêmes raisons perdu 440 millions de dollars et a du être renflouée par ses confrères. Enfin un courtier ces jours-ci, a vu son algorithme s’emballer et effectuer un ordre d’un milliard de dollars. Par ailleurs, ils pratiquent des « Naked Sales » (ventes nues) qui ont souvent pour effet de déstabiliser une entreprise ou un Etat. Cela est d’autant plus grave que les achats de C.D.S (du moins ceux qui ne correspondent pas à des opérations de couverture) sont faciles à réaliser, car ils se traitent de gré à gré et ne nécessitent pas pour un opérateur important un fort appel de marge. Les pouvoirs publics s’en inquiètent, mais se heurtent à une terrible résistance des intervenants sur les marchés financiers.
Le public de son côté se voit offrir des produits comme les « Contracts for Difference » (C.F.D.) qui transforment les opérations boursières en pur « jeu ». Ce qui est grave, c’est le remarquable succès de ces opérations alors que l’on manque de fonds pour aider les entreprises nouvelles à se développer.
Conclusion
On voit ainsi un double phénomène. Au nom de la « liquidité à court terme », les Autorités Financières (ex Bâle III et Solvency II) insistent pour que les entités financières réduisent au maximum leurs risques à long terme c.à.d. la détention d’actions. Dans le même temps, les institutions et le public ont tendance à vouloir transformer le marché en un casino, oubliant que les sociétés qui s’y introduisent sont là pour trouver des fonds pour investir et que toute cette spéculation ne peut que gêner le but réel des marchés financiers c.à.d. le développement de l’EMPLOI.