Chaque crise suit le même schéma : à toute période d’euphorie, d’innovations, de croissance économique forte, succède un excès de « crédit » qui, à un moment donné, ne peut plus être financé. Mais chaque crise a des particularités qui rendent une solution toujours aléatoire. Celle commencée en 2007 a ainsi des traits spécifiques :
1) Elle se situe au cœur d’une crise économique caractérisée par une concurrence de pays émergents à bas salaires, qui ont peu de sécurité sociale et qui arrivent à pratiquer une politique « beggar thy neighbour policy » beaucoup plus efficace que celles qu’on a connu au cours de la crise de 1930.
2) Le secteur financier américain s’est déstructuré. En concurrence avec les banques traditionnelles hyper-contrôlées par toute une série d’organismes qui ne sont pas toujours d’accord entre eux, se sont créées des sociétés totalement opaques et non contrôlées comme les Hedge Funds et surtout les entreprises de crédit immobilier. Bien plus les Banques ont trouvé une solution originale pour tourner les règlements qui limitaient leur capacité à prêter en titrisant leurs « risques » et en les revendant aux institutionnels avides d’avoir des revenus plus élevés que ceux qu’ils pouvaient obtenir sur les marchés. Enfin il faut noter que le secteur financier pose un problème très grave : la rentabilité des opérations sur produits dérivés est beaucoup plus forte et « moins risquée » que celle obtenue sur les placements industriels et commerciaux, car lorsqu’il y a des pertes les opérateurs peuvent les masquer de longues années en « les reportant ».Cela explique que les tables de marché font « toujours » des bénéfices sauf quand le système craque au moment où les pertes accumulées ne peuvent plus être dissimulées. Le marché boursier lui-même s’est « déstructuré ». L’invention aux U.S.A « d’Electronic Communication Networks E.C.N.s », au nom de la libre concurrence, a multiplié les opérations sans que l’on puisse dire que les investisseurs en aient le moins du monde profité. On essaye de protéger ces derniers, en obligeant les intermédiaires à rechercher la « Best Execution », mais les possibilités de « tourner » la réglementation sont si importantes qu’il ne semble pas que cette règle soit suffisamment efficace.
3) Enfin et surtout l’existence de taux d’intérêt très bas pour favoriser, avec succès, le développement économique a mis les opérateurs qui rémunèrent leurs dépôts à taux fixe dans une situation très difficile les obligeant à prendre des risques « anormaux » comme les emplois en « Collaterized Debt Obligations C.D.O.s» bourrés d’Obligations « Subprime ».

Dans ce contexte les autorités financières nationales (Loi Dobb-Franck ou décisions d’autorités financières comme la Commodity Future Trading Commission C.F.T.C. ou la Federal Deposit Insurance Corporation F.D.I.C) et internationales (Bâle III et Solvency II) ont cherché à recomposer le paysage financier. Ces mesures ont pour but d’améliorer la confiance du public en augmentant les montants des réserves des intermédiaires, de les responsabiliser plus et d’éviter les anomalies de marché. Mais il faut tenir compte également des nouvelles pratiques qui tentent de remettre en cause les efforts de normalisation du secteur financier. Tels sont les problèmes qui vont influencer l’avenir des marchés. En analysant ces mesures nous essayerons d’en déduire les conséquences pour l’évolution future des marchés financiers.

I/ La tentative pour ramener la confiance dans le secteur bancaire

La crise financière américaine n’est pas terminée. Sur les 7.800 banques qui existaient au 1er Janvier 2010, 118 ont fait faillite au cours du 1er semestre (après 140 en 2009) et 829 sont en difficulté, et le F.D.I.C ajoute que ce nombre est en forte augmentation si on le compare à celui des enquêtes réalisées en début d’année.

La solution semble consister à diviser le secteur bancaire en banques systémiques (c-à-d suffisamment importantes pour entraîner des faillites généralisées, si l’une d’entre elles fait défaut) et les autres banques dont la disparition n’a pas de conséquences économiques, le thème général étant dans tous les cas une augmentation des coefficients de solvabilité mais avec des taux plus importants pour le premier groupe que pour le second. A cela s’ajoute des « stress tests » à l’imitation de ceux réalisés en 2009 aux Etats Unis, mais surtout la création à l’instigation de Bâle d’un « Coefficient de liquidité » garantissant :
1) le risque sur un mois d’une banque lors d’une faillite d’un organisme « systémique » et
2) le même risque pour une durée d’un an.

Aux Etats Unis ces dernières mesures qui inquiètent les Européens, ont peu d’effet, étant donné qu’ils n’ont toujours pas accepté l’accord de Bâle II qui avait été pourtant rédigé sous le contrôle de Mc Donough, alors président de la F.E.D. de New York.

Ceci dit, ces mesures réalisées ou simplement envisagées pour « renforcer» la confiance dans le système financier sont parfaitement inefficaces le jour d’une panique .On serait alors obligé de revenir à la notion de « prêteur en dernier ressort » c-à-d la Federal Reserve ou la Banque Centrale Européenne.

II/ La responsabilisation des Intermédiaires

En matière de Produits complexes, il est toujours possible de reporter des pertes à des dates ultérieures et l’on ne s’en aperçoit que lorsqu’il y a dans une entreprise un « manque » de liquidité. Entre temps les opérateurs ont l’espoir, quand ils voient grandir leurs « risques » d’avoir changé de banque avant « l’éclosion » de difficultés. Les mesures actuelles ont pour but de responsabiliser les opérateurs pour que ceux-ci cherchent à éviter l’excès de risques.

Trois mesures ont été décidées :
1) les entreprises émettrices de produits titrisés doivent conserver par-devers elles au moins 5 % des émissions.
2) les traders ne peuvent toucher en fin d’année en espèces qu’une part de leurs gratifications le reste étant bloqué quelques années, pour vérifier que leurs opérations se terminent bien.
3) les fonds collectés de façon spécifiques auprès des entreprises « systémiques » devront servir à pallier les difficultés que peuvent rencontrer d’autres établissements systémiques. Cela a pour but d’obliger les organismes financiers à se contrôler les uns les autres et à créer entre eux une certaine solidarité. Mais certains pays, comme la France, préfèreraient que les sommes ainsi récoltées servent au comblement du déficit budgétaire.

Ces mesures sont excellentes car elles devraient permettre d’agir ex ante pour faciliter le développement des opérations financières. Un seul problème reste posé : sont-elles suffisantes pour empêcher des excès ? En tout cas elles répondent au problème de base : essayer de modifier les comportements des opérateurs ce qui est plus important que d’avoir à les sauver « ex post ».

III/ Le développement et le contrôle du « Marché Financier »

Sur les deux premiers points on peut écrire qu’il y a un progrès, par contre la situation des marchés financiers est très contrastée.
Au plan positif on voit la tentative de Gary Gensler, Président de la C.F.T.C de limiter le nombre de Contrats qu’un opérateur a le droit de détenir sur des produits énergétiques (10.000 ce qui est déjà considérable). Il a rencontré une forte opposition des grands industriels qui ont obtenu d’être hors de la limitation. De même il a été décidé, en particulier lors des G20 que les contrats de produits dérivés actuellement cotés « Over the Counter O.T.C. » seraient, dans la mesure du possible, exécutés sur des marchés organisés. Mais cela élève le coût des transactions, car les appels de marge immobilisent des fonds et les marchés prélèvent des commissions. Aussi cette mesure se heurte à une double opposition, celle des traders que gène la transparence et à nouveau les grands opérateurs industriels pour qui l’augmentation de coût est gênante. Ces derniers ont eu gain de cause et restent en dehors de nouvelles règles.

Par contre la déstructuration du marché boursier s’est aggravée. La Directive MIF a incité à créer des M.T.F.s en concurrence avec les marchés « organisés » au nom de la sacro-sainte concurrence, en fait pour reproduire les E.C.N.s américains et surtout pour plaire aux grandes banques principaux actionnaires de ces marchés. Bien plus l’existence récente des « Black Boxes » montre que l’idéal de la transparence est loin d’être atteint. Mais il y a pire, la Directive encourage « l’internalisation des ordres ». Celle-ci se combine avec le droit à faire la contre partie des ordres reçus et permet à des Banques de retirer du marché les ordres « intéressants » ce qui dévitalise sensiblement les marchés.

Dans le même ordre d’idée, de nouveaux produits spéculatifs sont offerts au grand public comme les « Contracts for Difference C.D.F.s » ou la création de « Trackers à effet de Levier » ce qui pousse les investisseurs privés à considérer la Bourse comme un Casino.

L’imagination des opérateurs paraît illimitée. Dernière innovation réalisée depuis le début de la crise, les « Flash Orders ou High Frequency Tradings H.F.T.s » se sont développés (ordres traités en 0,02 secondes ou même moins) et qui entraînent plusieurs séries de scandales :
1) le « market stuffing » consiste à multiplier les « H.F.T.s » pour gêner les autres opérateurs (une société d’analyse de marché Nanex LLC a noté que le 17 Août 2010 en une seconde avait été émis sur le marché d’Abbot Laboratories 10.704 ordres et dans le seconde suivante 5.483 ordres immédiatement annulés puisqu’il n’en est resté que 14 sur le marché)
2) le « sub-penny pricing » technique qui permet à des traders de passer un ordre à un prix à peine plus élevé que celui d’un opérateur sérieux pour l’empêcher d’effectuer normalement son opération.

Il est certain que si l’on imposait une commission minimum pour tout ordre soumis au marché cela pourrait calmer ces types d’opérations.

Conclusion

Cette analyse nous oblige à poser plusieurs problèmes :
1) La bourse est-elle vraiment utile ? Le développement des opérations de « Private equity » montre que les organismes financiers peuvent souvent s’en passer. En particulier les Bourses sont incapables d’assurer des marchés pour des entreprises naissantes. Mais certes les « Introductions » devraient continuer apportant un peu de fonds propres aux sociétés. On peut penser que malgré le discrédit qui s’attache aux manipulations les Bourses devraient à peu près continuer avec des chiffres d’affaires de plus en plus grands mais où règnent de plus en plus d’organismes de spéculation. A l’heure actuelle les opérations de H .F.Ts représentent entre 50 et 70 % des transactions effectuées à New york.
2) Les Bourses actions devraient continuer à monter puisqu’elles reflètent à la fois la croissance économique des pays, le taux de l’inflation et le fait que les sociétés acceptées sur les Bourses devraient avoir un taux de croissance un peu plus fort que le P.N.B. Toute crise ou même période de forte inflation, ayant sur le comportement des épargnants un effet de recherche de protection (Or ou Immobilier) ce qui provoque habituellement des baisses dans les deux cas, baisses qui sont brutalement corrigées quand le public s’aperçoit de l’amélioration des résultats des entreprises.
3) Si les contrôles sont bien faits et si les mesures envisagées ou déjà réalisées entraînent une véritable responsabilisation des opérateurs on peut espérer une vraie reprise économique. Mais cela suppose aussi une amélioration des balances commerciales occidentales c-à-d une forte hausse des revenus des pays émergents ou de leurs parités avec le Dollar.


Paris le 8 Octobre 2010 Jean-Jacques Perquel