A la suite de la mise en place du Crédit d’Impôt Compétitivité Emploi (CICE), la stratégie française d'un "pacte de responsabilité '', encore à l'état d'esquisse, risque fort de perdre une part de son efficacité lors de sa mise en œuvre future.
Le gouvernement français s'est rallié avec retard à la stratégie d'une croissance reposant sur l'offre (appelée par le gouvernement actuel ''socialisme de l'offre''). La stratégie de l'offre a pourtant réussi pleinement en Allemagne, même s'il existe dans ce pays certains dysfonctionnements en matière de pouvoir d'achat. Cette stratégie a abouti aussi, dans les pays qui l'ont mis en œuvre, à accroître les marges des entreprises, ce qui a permis alors d'appliquer le célèbre ''postulat de Schmidt'' : '' les profits d'aujourd'hui sont les investissements de demain et les emplois d'après demain''. Il est un fait que dans les pays de l'UE qui l'ont adopté, on a assisté à une amélioration des marges, à un accroissement subséquent des investissements des entreprises et à une baisse significative du chômage. L'amélioration des marges permet aussi de relancer une politique d'innovation visant à concevoir et diffuser de nouveaux produits dans le monde en assurant au pays où ce phénomène se produit une place de leadership technologique mondial. Cependant, quand cette stratégie sera mise en œuvre en France, et espérons qu'elle le sera, elle se produira au plus mauvais moment, car elle se heurtera alors aux effets opposés de deux autres phénomènes structurels, à savoir : la hausse inéluctable des taux directeurs en Europe, le maintien à des niveaux élevés de l'euro par rapport au dollar.
- la hausse inéluctable des taux directeurs dans le monde.
Il semble que la période fort longue de taux d'intérêt réels volontairement très bas, voire nuls (dans le but de stimuler une demande globale déprimée), touche à sa fin au niveau mondial. La présidente de la Réserve Fédérale (FED), Madame Janet Yellen, vient de faire savoir que le taux directeur américain pourrait déjà remonter une première fois après la fin du '' taux dégressif / tapering'', ce qui devrait se produire aux alentours d'avril 2015. Déjà, l'économie américaine repose sur un potentiel de croissance annuelle de 3%. Certes, la Banque Centrale européenne vient d'annoncer, de son côté, que le taux directeur en Europe restera pour le moment au niveau actuel. Pourtant, si l'Amérique amorce un virage dans sa politique monétaire, l'Europe communautaire devra suivre, une différence de taux n'étant pas tenable à terme entre les deux grands ensembles économiques, surtout s'ils esquissent un rapprochement historique dans le cadre d'un nouveau marché transatlantique.
Par ailleurs, sur un seul plan théorique, l'application de ''la règle de Taylor'' qui relie taux d'inflation, taux de croissance potentiel et taux directeur aboutit à une conclusion sans appel : aux Etats-Unis comme en Europe, les taux directeurs devraient être beaucoup plus forts qu'ils ne le sont aujourd'hui. Or, une remontée vraisemblable des taux en Europe en peu de temps, et donc en France, aura pour conséquence de briser les premiers effets d'une reprise française qu'on n'attend pas avant 2015. Non seulement une pression à la baisse s'exercera alors sur les composantes de la demande globale en France (consommation , investissements), mais de plus, ce relèvement renchérira l'endettement du pays, dont le taux de la dette publique, qui atteint 93,5% du PIB aujourd'hui, devrait avoisiner 100% du PIB en 2015, rendant alors irréaliste tout endettement supplémentaire. Dans un tel contexte, tout nouvel endettement pour financer le déficit budgétaire sera plus onéreux, et en conséquence, les pouvoirs publics ne pourront que difficilement avoir recours à l'emprunt pour continuer à stimuler la consommation des ménages, comme c'est le cas jusqu’ici. Jusqu'en 2013, l'endettement public de la France n'a fait qu'augmenter malgré une ponction fiscale de 30 milliards d'euro supplémentaires. En effet, le déficit budgétaire s'est creusé de 10 milliards d'euros, témoignant d'une hausse conséquente des dépenses publiques dans cette période, contrairement aux engagements de la France à l'égard de la Commission.
C'est l'accroissement du déficit budgétaire qui est bien la cause de ce nouvel endettement. L'application du pacte de responsabilité devrait théoriquement mettre fin à cette tendance puisque une économie de 50 milliards de dépenses publiques est programmée pour compenser une baisse substantielle des charges d'entreprise et donc de leurs contributions fiscales. Mais deux événements risquent de neutraliser les effets vertueux du futur pacte de responsabilité.
- le maintien à des niveaux élevés de l'euro par rapport au dollar :
L'époque d'un euro à niveau modéré par rapport au dollar est révolue. Depuis des semaines, la valeur de l'euro exprimée en dollars tangente le taux 1,40$ pour 1€. Il ya plusieurs raisons à cela. Tout d'abord, le contexte international explique une part du phénomène : défiance vis à vis de l'économie chinoise dont le taux de croissance est en baisse et qui est menacée par une bulle à la fois immobilière et bancaire; défiance vis à vis des performances économiques américaines, largement artificielles et dont l'endettement atteint un niveau record inquiétant; en conséquence on a assisté de la part du reste du monde à un accroissement d'achat d'euros , ce qui ne peut que fortifier la valeur de la devise européenne. Mais il ya aussi des causes endogènes à l'Europe, liées au surplus structurel de la balance commerciale européenne. C'est l'Allemagne dont la croissance est tirée sans cesse par les exportations qui en est la cause majeure. Une balance commerciale positive renchérit la devise d'un pays, et dans le cas de l'UE, d'une communauté de pays. Mais au rôle historique de l'Allemagne, il faut ajouter désormais le rôle inattendu de certains pays européens en pleine restructuration, qui par application d'une stratégie de l'offre, parfois brutale, ont réussi à comprimer leurs prix de revient et, en conséquence, à relancer leurs exportations et diminuer le chômage. Il ne faut pas s'étonner que dans ce contexte, le gouvernement espagnol contribue lui aussi désormais à accroitre le surplus de la balance commerciale européenne. De même, l'Italie a aussi une balance commerciale excédentaire. L'application d'une politique de l'offre coordonnée dans de nombreux pays européens, qu'elle soit volontaire ou imposée, contribue donc à amplifier le solde excédentaire de la balance commerciale européenne, et par là, contribue au maintien du taux de change élevé de l’euro. Or, si un taux de 1,40$ pour 1€ est encore soutenable pour une économie allemande qui repose sur l'activité de niches de haute valeur ajoutée , de produits industriels haut de gamme dont le prix n'est pas l'élément essentiel à l'achat, on ne peut pas en dire autant pour la France dont la production industrielle (ou ce qu'il en reste) est une production de moyenne gamme déjà handicapée par des prix de revient élevés.
Si maintenant on repose le problème du plan de compétitivité français dont les premiers effets ne pourront pas être attendus avant le début 2015, il est à craindre que ces effets fragiles ne soient rapidement neutralisés par les effets des deux phénomènes développés ci-dessus : des taux directeurs en hausse et un niveau de l’euro trop élevé. On ne pouvait pas choisir pire période pour le lancement d'un tel plan dont la légitimité n'est pourtant pas mise en doute (l’objectif de réduction des dépenses publiques de 50 milliards d'euros n'est pas critiquable eu égard aux situations prévalant dans les pays européens partenaires). Mais ce plan arrive bien tard et à un mauvais moment pour la France. Les autres pays de la zone euro qui se sont lancés depuis des années dans les réformes structurelles commenceront, eux, à en percevoir déjà les dividendes et ils pourront alors manifester une meilleure résilience dans l'adversité. La France ne sera pas dans ce cas-là.