Les 30 juin et 7 juillet 2024 les citoyens français vont se rendre aux urnes pour élire leurs députés. Chaque élection est précédée d’une période de campagne électorale pendant laquelle les candidats vont présenter leur programme, communiquer et « attirer le chaland ».

Du côté des électeurs, l’hésitation et la défiance dont ils font preuve, fragilisent les partis politiques, qui sont contraints, pour conquérir le pouvoir, de tenir des discours éloignés de la réalité. Par ailleurs, cette hésitation et cette défiance favorisent la démagogie. La communication devient alors déterminante.

Pour le politologue Jean Petaux, les candidats à l’élection sont dans le personal branding » (ou « marketing de soi » en français), une stratégie consistant à promouvoir son image et ses compétences comme une marque. De même, le professeur de philosophie Eric Deschavannes écrit : « Être une marque est devenu une condition nécessaire de la réussite politique. Les partis politiques eux-mêmes ne sont plus que des labels et des grandes marques ». Enfin, Nicolas Baygert, docteur en Sciences de l’information et de la communication parle « d’homme politique comme marque ».

1. Nombre d’hommes politiques usent de démagogie pour se faire élire.

Eric Le Boucher dénonce les partis politiques qui « annoncent des listes de cadeaux bibliques, dignes des rois mages, en laissant bouche bée tous ceux qui ont suivi l’histoire économique récente du pays ». Pour étayer son argumentation, il fait entre autres référence à certaines promesses faites aux français relevant de la démagogie.

1.1. Analyse conceptuelle de la notion de « démagogie »

Du grec ancien demos « le peuple » et ago « conduire », la démagogie est définie dans le dictionnaire de l’Académie française comme le « comportement politique fait de complaisance et de flatterie à l’égard des souhaits ou des instincts des foules, sans souci du bien général et des intérêts supérieurs d’un pays ». Par analogie, « il s’agit d’une personne qui cherche à s’attirer, par une complaisance excessive, la faveur d’un groupe ».

Nous retrouvons déjà le concept « démagogie » chez Platon. Pour ce dernier, « la démocratie étend le domaine de la démagogie : les plus bas instincts du peuple sont flattés par la parole du démagogue ». Dans son ouvrage « La République », il critique la démocratie, un régime politique instable dirigé par un peuple d’ignorants.

Pour Nicole Oresme, le démagogue, contrairement au bon dirigeant politique, s’efforce de plaire et sa seule motivation est de conserver le pouvoir. Pour ce disciple d’Aristote, le fléau de la démagogie est le miroir de la flatterie.

Un autre éclairage de la pratique de la démagogie dans un monde politique construit autour de l’élection nous est proposé par Raoul Frary dans ses écrits intitulés « Le Manuel du démagogue ». L’auteur s’adresse aux aventuriers de la démocratie en leur expliquant, avec ironie, l’art de conquérir le pouvoir et de le conserver. Il déclare : « Il n’y a pas de souverain sans courtisans, ni de démocratie sans démagogues ».

Comme le rappelle Pascal Bouvier dans son article « Nature et formes de la démagogie » (2011), la démagogie repose non seulement sur la parole publique et la séduction, mais également sur la connaissance de ceux auxquels on s’adresse. Il écrit que « la démagogie est un savoir-faire autant qu’un savoir-être ». Dans la Grèce antique, les sophistes (Antifon, Gorgias, Protagoras) utilisaient le discours non pas comme moyen pour parvenir à la vérité, mais comme un moyen de persuasion sur les personnes.

Au total, et comme le souligne Olivier Postel-Vinay, (« Un mois de démagogie française », 1981) la démagogie se distingue par la flatterie, les fausses promesses, les cadeaux, la calomnie et le mensonge ».

1.2. Les partis comme champ de concurrence

D’aucuns désignent la politique comme la scène où les individus et les groupes entrent en compétition pour la conquête et l’exercice du pouvoir.

Comme le déclare l’économiste américain Antony Downs, les partis politiques élaborent leur stratégie en fonction d’un objectif de conquête ou de maintien au pouvoir. Dans cet esprit ils doivent optimiser le nombre de voix. La politique est un marché qui fonctionne sur le même modèle que celui des échanges de biens et services. A. Downs fait partie de l’école du Public Choice, qui s’est notamment intéressée à la politique d’un point de vue rationnel. Il a élaboré un modèle de compétition (« An Economic Theory of Democracy, Prentice Hall, 1957), qui s’inspire des théories de Duncan Black. Le modèle se décrit de la façon suivante : 1) il comporte deux partis politiques uniquement ; 2) l’unique objectif de chaque parti est de gagner l’élection ; 3) chaque partie propose une politique dans ce but ; 4) les électeurs évaluent les politiques, indépendamment du parti qui les propose ; 5) les partis connaissent les préférences des électeurs ; 6) chaque électeur vote pour le parti qui a fait la proposition qui lui convient le plus ; 7) le parti élu, qui a obtenu le plus de voix, tient sa promesse. L’auteur se situe dans la lignée de Joseph Schumpeter. Il appréhende la démocratie comme une procédure de sélection des gouvernants caractérisée par la concurrence entre partis politiques pour obtenir les suffrages des électeurs. Il affirme que les partis désirent conquérir le pouvoir afin de bénéficier des revenus et du prestige associés à la fonction de gouvernant, et non pas pour appliquer un programme politique au service d’une vision du monde. Cela étant, les idéologies jouent un rôle majeur dans son modèle de compétition.

Pour Michel Offerlé, professeur émérite de sociologie politique, un parti est une « entreprise politique ». Il renvoie ainsi à l’idée de marché politique comme « lieu abstrait » (Gaxie-Lehingue) « où des agents en concurrence pour le courtage politique tentent d’échanger des biens politiques contre des soutiens actifs ou passifs » (Offerlé, 1985). Il s’agit donc d’un type de relation dans laquelle un ou des agents investissent des capitaux pour recueillir des profits politiques en produisant des biens politiques.

1.3. Le clientélisme politique

Le clientélisme d’abord socio-culturel des grands propriétaires terriens en particulier, n’est devenu électoral ou politique qu’en fonction de l’avènement de l’Etat centralisé et des régimes représentatifs. Il désigne l’attitude politique d’une personne ou d’un parti qui cherche à s’attirer les soutiens électoraux et des promesses de voix par l’octroi d’avantages ou de privilèges injustifiés. On retrouve notamment ce concept chez Max Weber dans son ouvrage « Economy and society », 1978.

Le sociologue Cesare Mattina, dans son ouvrage « Clientélisme urbain » (2016), interroge le clientélisme dans son historicité et ses fondements socio-économiques comme dans son actualité. Il le définit de manière multidimensionnelle en distinguant les quatre phénomènes suivants :
- la demande sociale de biens et de services à but privé et personnel (demandes d’emplois, de logement, de recommandations et d’aides administratives, de places en crèche, de permis de construire, etc.) exprimée à l’adresse des élus à la fois par les entourages de ces derniers et par un électorat élargi ;
- les activités du métier d’élu, dont une partie importante peut être vouée à la reproduction de sa clientèle et à la quête de la clientélisation de nouveaux électeurs ;
- les relations clientélaires interindividuelles ;
- les politiques de redistribution des ressources divisibles et individualisables (emplois publics, promotions, logements sociaux, permis de construire, places en crèches, etc.).

L’auteur cherche à ne pas singulariser une ville en précisant que ces quatre phénomènes se retrouvent, certes sous différentes formes et intensités, sous toute latitude. Enfin, l’ouvrage analyse le clientélisme à travers le prisme de l’action publique et de la gouvernance urbaine.

L’attribution d’un logement social pour fidéliser les électeurs est le meilleur exemple de clientélisme et de favoritisme. A cet égard, des témoignages d’élus révèlent que ces derniers reçoivent beaucoup de sollicitations et des demandes d’interventions pour des services de type personnel : obtention d’un logement social, d’un emploi public à vie, d’une subvention à une association, d’une place en crèche, etc.

Tous ces comportements de démagogie, de clientélisme, de favoritisme ont un impact néfaste sur la gouvernance et la conduite des politiques publiques. Ils remettent en question la transparence dans la gestion de la chose publique.

2. Explosion de la dette publique alimentée par l’expansion de la démagogie politique

Le déficit public a atteint 5,5 % du PIB en 2023, soit 15,8 milliards d’euros de plus que ce qu’avait prévu le gouvernement (4,9 %). Ce qui l’a conduit à annuler 10 milliards d’euros de crédit pour 2024.

2.1. Les programmes électoraux dans le cadre de la campagne pour les législatives de juin 2024 manquent de réalisme budgétaire

La France a été placée en procédure de déficit excessif par la Commission européenne le 19 juin 2024. Après avoir été suspendues près de quatre ans à la suite de la crise économique provoquée par la pandémie de la Covid 19 et la guerre en Ukraine, les règles budgétaires de l’Union européenne s’appliquent de nouveau cette année. Conformément au Pacte de stabilité et de croissance, les États membres doivent maintenir leur déficit public sous le plafond de 3 % du PIB, et leur dette publique sous les 60 % du PIB. D’ici le 20 septembre, la France doit présenter son « plan budgétaire et structurel national à moyen terme » qui doit préciser notamment la trajectoire de dépenses publiques que le pays envisage sur une durée de quatre ans, extensible à sept, ainsi que les réformes et investissements envisagés pour s’y conformer. En cas de non-respect de ses engagements, le pays risque des sanctions financières. Concernant la dette publique, celle-ci s’élève à 3 101,2 milliards d’euros selon l’INSEE, soit 110,6 % du PIB, détenue à 50 % par des investisseurs étrangers.

Les programmes électoraux se résument la plupart du temps à un catalogue de nouvelles dépenses pour séduire telle ou telle portion de l’électorat alors que nous observons une dérive des comptes et que la France « va mal ». Un parfait exemple de démagogie.

Des partis politiques, des laboratoires d’idées (« think tank »), … se livrent au chiffrage très approximatif de promesses électorales très coûteuses pour la dette publique française, mais qu’en est-il de l’évaluation d’une réduction des dépenses publiques pour réduire notre important déficit ? A propos des dépenses, Marie-Pierre de Bailliencourt écrit : « La question de la dépense publique est l'invité masqué de cette campagne ».

A l’heure où les promesses électorales sont exorbitantes, le Gouverneur de la Banque de France François Villeroy de Galhau a appelé à « ne pas creuser encore davantage des déficits lourds que l’on ne saurait pas bien financer ». Depuis la dissolution de l’Assemblée nationale, les promesses électorales se sont multipliées, au sein du Nouveau Front Populaire, du Rassemblement national et au sein de l’exécutif.

Les classes politiques ne pensent plus en termes de valeur démocratique mais en termes de voix recueillies. Cela étant, certains citoyens français n’étant pas dupes, les mesures dépensières proposées par tous les partis politiques ne sont pas crédibles. Ils réfutent le gaspillage de l’argent qui est un bien public. Janine Mossuz-Lavau, Directrice de recherche émérite CNRS au Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF), dans son article « Argent, politique et corruption », qui est le résultat d’une enquête portant sur la relation des Français à l’argent, relate les jugements sévères, les condamnations et le rejet exprimés à l’égard des politiques. Elle écrit que pour certaines personnes interrogées une des raisons qui expliquent cette sévérité tient à ce que « les élus feraient de la politique pour s’enrichir, alors qu’ils devraient veiller au bien public. De droite comme de gauche, ils embrasseraient cette carrière pour amasser le plus d’argent possible ». L’auteure poursuit son analyse en faisant référence au Général de Gaulle qui était un modèle de l’honnêteté. « Il faisait passer l’État avant toute chose, qui avait, dit-on, à l’Elysée, un compteur personnel pour payer son électricité, qui réglait ses factures de téléphone. Et dont la femme, déclare Rose, garde d’enfants de 58 ans, combattait le moindre gaspillage ».

Un article paru dans le journal Les Échos le 21 juin 2024 intitulé « Législatives 2024 : le ton commence à monter aussi entre les économistes », révèle que « de Julia Cagé au Prix Nobel Esther Duflo, plusieurs économistes contribuent au programme du Nouveau Front populaire » alors que d’autres, tels que Philippe Aghion, professeur au Collège de France, Olivier Blanchard, ancien chef économiste du FMI et Jean Tirole, Prix Nobel d’économie, « sont très critiques ». Ainsi, d’après Philippe Aghion,  « les nouveaux programmes du Nouveau Front populaire et du RN sont irréalistes. Il faut rester au centre ». De même, Olivier Blanchard et Jean Tirole, dans un article publié dans le magazine le Point du 18 juin 2024 intitulé « Les trois impostures du RN », déclarent que « les programmes économiques du Rassemblement national (RN) et le « Nouveau Front populaire » leur paraissent extrêmement dangereux. Celui du Rassemblement national est un catalogue de cadeaux, sans cohérence ni vision, destinés à attirer les électeurs. Celui du « Nouveau Front populaire » est plus idéologique, mais fondé sur une grave incompréhension de ses effets sur l’avenir des entreprises et sur la croissance ».

Les meilleurs candidats ont du mal à se faire entendre. Par manque de lucidité, les électeurs choisissent le candidat pour son paraître, comme si c’était la vertu principale qu’ils attendaient de leurs gouvernants. A la question, peut-on gagner des élections sans démagogie, nous sommes enclins à répondre non au vu des nombreux cas de figure qui se sont présentés à nous.

2.2. Quid de l’ambition pour la France championne de la redistribution ?

Avoir de l’ambition n’est pas toujours considéré en France comme une qualité. Pourtant, c’est toujours l’ambition qui motive ceux qui réalisent de grandes choses. « La France est en panne d’ambition », déclare Vincent Cespedes, philosophe et essayiste.

La France a énormément changé. Que ce soit dans le domaine économique, social, sociétal et politique, nos valeurs traditionnelles sont battues en brèche. Le combat pour la grandeur de la France, le sens de l’effort, le don de soi, l’appartenance solidaire à un groupe ont laissé place à l’individualisme, à l’insouciance, à l’irresponsabilité et à la médiocratie. D’une société de confiance, la France est devenue une « société de défiance » : expression empruntée à l'ouvrage de Yann Algan et Pierre Cahuc intitulé : « La société de défiance : comment le modèle social français s'autodétruit ». Une enquête récente d’Ipsos confirme que les Français seraient en proie à la peur, à la défiance et à la perte de repères politiques.

Afin de sauver la France du déclin qu’évoque Samuel Tual dans son essai « Le travail pour tous ! revaloriser le travail pour sauver la France », il faut redonner au travail et au mérite leur titre de noblesse. Il faut mettre un terme non seulement à la culture de l’assistanat qui coûte très cher à la nation mais aussi à la politique de redistribution dont la France serait la championne.

Pour un rebond de la France, il faut travailler plus ! Comme le souligne Jean- Marie Albertini, « le travail est le premier et le plus essentiel facteur de production. […] L’activité productive d’une économie est, en première analyse, le résultat du travail de sa population. Il existe ainsi une relation étroite entre la croissance économique, le nombre de personnes que l’on peut mettre au travail, et la nature du travail fourni ». Le travail est la principale source de création de richesses. Ce n’est pas en accroissant encore l’assistanat que nous allons redresser notre pays. Pour un haut dirigeant d’une grande banque, « nous souffrons d’un double mal : nous avons, plus qu’ailleurs, des actifs potentiels qui ne travaillent pas, et ceux qui travaillent le font moins qu’ailleurs ». Celui-ci souligne que la priorité est de convaincre qu’il nous faut travailler davantage et plus longtemps, si nous voulons créer plus de richesses. Le recul effectif de l’âge de départ à la retraite est une condition sine qua non du redressement de notre appareil productif et du rétablissement de nos finances publiques. « Entre pouvoir d’achat et loisirs, il faut choisir, on ne peut pas avoir les deux ». Mais ces vérités sont dérangeantes ! « Nos hommes politiques préfèrent ignorer ces vérités électoralement désagréables. D’où leur tentation permanente, de créer du faux pouvoir d’achat en augmentant le déficit budgétaire ».

Dans une étude réalisée par l’Ifop pour la Fondation Jean Jaurès intitulée « Les Français, l’effort et la fatigue » (septembre 2022), les auteurs nous alertent : la France serait « touchée par une épidémie de la flemme », particulièrement forte chez les plus jeunes.

3. Conclusion

Le désabusement des sociétés contemporaines à l’égard de la politique s’accompagne de la raréfaction de la « production » de grands hommes. A cet égard, Pierre Desproges déclarait « Nous n’avons plus de grand homme, mais des petits qui grenouillent de droite et de gauche avec une sérénité dans l’incompétence qui force le respect ».

Concernant les hommes politiques, Jean Dutourd, écrivain, membre de l’Académie française écrit : « Faire parler un homme politique sur ses projets et son programme, c’est comme demander à un garçon de restaurant si le menu est bon. Tout ce qui l’intéresse, c’est que vous payez l’addition : ce n’est pas lui qui aura mal au ventre ».

Notre société des loisirs, qui bénéficie du pouvoir des médias, a entraîné l’apparition d’une nouvelle espèce d’hommes : les grands communicants.

4. Glossaire

Assistanat : Le fait d'être aidé, assisté ou secouru par des organismes publics ou privés.

Déficit public : Solde annuel négatif du budget des administrations publiques qui sont : l’État, les collectivités territoriales et les organismes de sécurité sociale.

Dette publique : Au sens du Traité de Maastricht, ensemble des dettes contractées par les administrations publiques : administrations centrales, administrations locales et administrations de sécurité sociale.

Médiocratie : Pouvoir détenu, influence exercée par des médiocres.

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