1. Introduction

Plus la fraude augmente en France, plus certains s’ingénient à mettre en place des mesures qui facilitent la tâche des escrocs. L’exemple de la non-impression systématique des tickets de caisse, de carte bancaire ou des bons d’achat en est un exemple parmi tant d’autres. Certains commerçants malhonnêtes risquent de profiter de ces mesures pour arnaquer le consommateur.

Outre la crainte d’un accroissement de la fraude, d’autres pièges plaident en faveur de l’abandon d’une telle disposition.

Après avoir examiné les thèses avancées pour justifier la fin des tickets de caisse, des facturettes de carte bancaire, des bons d’achat ou des tickets promotionnels, nous en démontrerons les risques.

2. Les motifs invoqués pour justifier la non-impression et la distribution systématiques des différents types de tickets et bons

Quelques rappels sur la loi AGEC
La loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, dite loi AGEC, a prévu entre autres, qu’à compter du 1er janvier 2023, sauf demande contraire du client, il sera interdit d’imprimer et de distribuer systématiquement des tickets de caisse ou de carte bancaire dans les commerces. Ainsi, l’article L. 541-15-10 du code de l’environnement a été complété par les dispositions suivantes :

« Au plus tard le 1er janvier 2023, sauf demande contraire du client, sont interdites :
- l’impression et la distribution systématiques de tickets de caisse dans les surfaces de vente et dans les établissements recevant du public ;
- l’impression et la distribution systématiques de tickets de carte bancaire ;
- l’impression et la distribution systématiques de tickets par des automates ;
- l’impression et la distribution systématiques de bons d’achat et de tickets visant à la promotion ou à la réduction des prix d’articles de vente dans les surfaces de vente ».

Les tickets de caisse relatifs à l’achat de biens « durables » énumérés par l’article D.211-1 du code de la consommation tels que « les appareils électro-ménagers, les équipements informatiques, les produits électroniques grand public, les appareils de téléphonie, etc. ne sont pas concernés par cette mesure.

Les arguments avancés pour justifier cette mesure sont essentiellement d’ordre écologique. Que faut-il en penser ?

Dans un dossier intitulé « Comment transformer la fin du ticket de caisse en 2023 en opportunité pour votre commerce ? » publié sur le portail de la transformation numérique des entreprises, les justifications proposées sont les suivantes : 1) « la lutte contre le gaspillage ; 2) la réduction du contact de la population avec les substances dangereuses pour la santé présentes sur 90% des tickets de caisse, telles que le bisphénol A, qui est un perturbateur endocrinien ».

La disparition du ticket imprimé, vantée par les partisans du « tout numérique », laisse perplexe quant à son impact écologique. Pour Lionel Maugain de l’association « 60 millions de consommateurs », « l’argument écologique ne tient pas tellement la route, car on a vérifié et l’envoi et surtout la conservation d’un ticket de caisse par mail ça fait 19 grammes de CO2 par an + 10 grammes par année de conservation. C’est kif-kif avec le ticket de caisse. Les fabricants de tickets de caisse en revanche nous assurent que les tickets proviennent de forêts avec une gestion maîtrisée, donc l’argument écologique est un peu bidon ».

Comme le souligne Lionel Maugain, l’argument du Gouvernement qui consiste à justifier la suppression du ticket imprimé eu égard à son impact écologique nous fait sourire ! En effet, que penser par exemple de l’impact sur l’environnement des crypto-actifs ?

Il a été décidé de supprimer le ticket de caisse papier alors que ce dernier offre une utilité indéniable pour le consommateur et que l’impact environnemental est faible comparé par exemple à celui des crypto-actifs et de la technologie chaîne de blocs (« blockchain »). Une récente étude de septembre 2021 publiée dans la revue scientifique « Resources, Conservation and Recycling » révèle que « Faire deux transactions en Bitcoin reviendrait à jeter un iPad à la poubelle ». Pour Climate Consulting, « le minage serait la source de pollution principale du Bitcoin ». L’électricité nécessaire pour miner un bitcoin est comparable à la totalité de la consommation de la Thaïlande, soit la moitié de la consommation de l’électricité française, d’après les calculs de la plateforme Digiconomist. D’aucuns parlent même du Bitcoin comme une « catastrophe écologique ». La question se pose de savoir s’il faut continuer à développer la technologie de la chaîne de blocs (blockchain) qui nécessite une consommation électrique considérable et qui fait peser une menace non négligeable pour l’environnement (voir N. Antonin, La chaîne de blocs (« blockchain » : une technologie énergivore). N’oublions pas que nous sommes entrés dans un contexte de grave crise énergétique, renforcée par la guerre en Ukraine. Comment expliquer la focalisation du gouvernement sur le « tout numérique » alors que nous nous heurtons à un problème structurel grave : une baisse inquiétante de la production d’électricité nucléaire en raison de la dégradation du parc nucléaire (32 réacteurs nucléaires sur 56 sont à l’arrêt) ? Un rapport intitulé « Sweden overtakes France as Europe’s biggest net power exporter » publié en juillet 2022 par EnAppSys confirme les problèmes structurels de la France avec son parc nucléaire : « Habituellement, la France exporte plus d’électricité qu’elle n’en importe, mais des problèmes structurels avec son parc nucléaire l’ont obligée à s’approvisionner en quantités importantes d’électricité auprès d’autres pays au premier semestre 2022, les exportations de la France diminuant de moitié par rapport à celle du semestre précédent ».

Face à cette situation paradoxale, de nombreuses questions nous interpellent. « L’atout nucléaire se retourne-t-il contre la France » comme le déclarent certains experts ? Où allons-nous trouver l’énergie électrique nécessaire pour faire face à la fuite en avant technologique ? Pourquoi les nouvelles technologies échappent-elles au souci écologique alors qu’elles constituent un véritable gouffre énergétique ? Allons-nous nous éclairer à la bougie et mourir de froid l’hiver plutôt que freiner la course au numérique ? Plus globalement, comment l’économie numérique de plus en plus vorace en énergie (certains parlent de « gabegie énergétique ») va-t-elle pouvoir fonctionner face à une importante pénurie de ressources énergétiques ? Pouvons-nous nous contenter des déclarations du Président de la République, Monsieur Emmanuel Macron, qui exhorte les Français « à payer le prix de la liberté » et qui les alerte sur une rentrée marquée par « la fin de l’abondance » et de « l’insouciance » ?

S’agissant des dangers sur la santé du bisphénol A, deux premiers labels « ticket de caisse sans bisphénol A » avaient été remis au distributeur Lidl et au fabricant de papier thermique Koehler en janvier 2015.

Les partisans de la suppression des différents types de tickets et bons semblent ignorer les avantages de ces derniers et les risques de leur suppression. Face à eux, les défenseurs du ticket de caisse mettent en avant la nécessité impérieuse de les maintenir en invoquant des arguments tout à fait crédibles. Ainsi, douze associations de consommateurs, sur les quinze que compte le Conseil national de la Consommation, déclarent que supprimer par défaut » le ticket de caisse « aboutit à priver les consommateurs d’un véritable choix, et par voie de conséquence de leurs droits ».

3. Les risques liés à la suppression des différents types de tickets et bons

Erreurs de prix en notre défaveur et accroissement potentiel de la fraude

Le ticket de caisse papier permet de vérifier l’exactitude du montant total des achats, en s’assurant que les prix scannés sont conformes aux prix affichés et que les réductions éventuelles ont bien été prises en compte. Celui-ci demeure d’autant plus indispensable pour le consommateur que les erreurs de prix sont malheureusement très fréquentes. Ainsi, une étude menée en 2016 par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (FGCCRF) estimait en moyenne à 8% le nombre d’erreurs lors du passage en caisse. Nous observons en effet que bien souvent les prix affichés en rayon diffèrent de ceux facturés en caisse. Au total, avec la disparition des tickets de caisse, les associations de consommateurs craignent que certains commerçants en profitent. Une telle pratique relevant de la fraude, ces derniers s’exposent à de lourdes sanctions.

Privation d’un document pour faire ses comptes et gérer son budget

Le ticket de caisse permet aux ménages de matérialiser et de suivre leurs dépenses quotidiennes. En d’autres termes, il constitue un outil indispensable pour établir et suivre le budget familial. Le supprimer va poser des problèmes dans un contexte particulièrement tendu sur le plan économique. La Banque de France, opérateur national de la stratégie nationale d’éducation économique, budgétaire et financière (EDUCFI) révèle que le manque de discipline financière entraîne une mauvaise gestion de budget par les Français : « seuls 42% des Français déclarent qu’il leur reste de l’argent à la fin du mois, 51% considèrent que leur situation financière les limite dans les projets qui comptent pour eux, et 22% disent avoir trop de dettes en ce moment ».

Disparition des preuves d’achat

Comment apporter la preuve d’un achat si l’on ne dispose plus du ticket de caisse et partant, comment se prévaloir des garanties légales ou commerciales ? Les situations dans lesquelles nous avons besoin du ticket de caisse pour prouver un achat sont multiples et nombreuses : échange d’un produit, remboursement ou remplacement d’un produit défectueux, garantie du produit, etc. De même, dans l’hypothèse d’une différence entre le relevé et le ticket de caisse, le ticket de carte bancaire permet d’obtenir un remboursement du commerçant ou de la banque. Il devra obligatoirement être présenté en cas de contestation de la transaction.

Pour ce qui est de la preuve d’achat, Bianca Schulz, responsable du Centre européen des consommateurs (CEC) France, apporte des précisions sur le plan européen dans un article intitulé « Fin des tickets de caisse papier : la France se démarque de ses voisins européens » publié en mai 2022 : « En l’absence de preuve d’achat, les consommateurs ne pourront que difficilement faire valoir leurs droits. C’est pourquoi, l’abandon des tickets de caisse papier ne se pose pas dans la plupart des pays européens ». Elle ajoute que « cette mesure, motivée par des considérations écologiques, ne saurait être justifiée si elle est remplacée par une pollution numérique ». Ce même article nous informe « qu’en Autriche, pour lutter contre la fraude, les professionnels sont obligés d’émettre un ticket de caisse et de le remettre au client. Il en est de même en Allemagne ».

Nous nous acheminons vers un ticket de caisse numérique dont l’impact environnemental n’est pas négligeable et qui conduit à un marketing ciblé

L’impact environnemental du ticket de caisse numérique

Le ticket de caisse dématérialisé est un ticket de caisse envoyé par un commerçant à son client par courriel ou via une application.

Contrairement à certaines idées reçues, le ticket de caisse numérique présente aussi un coût écologique. Frédéric Bordage, spécialiste dans l’écoconception des services numériques a évalué l’impact environnemental des deux types de ticket de caisse : le ticket de caisse numérique et le ticket de caisse papier. Il révèle qu’« un mail avec un ticket de caisse dématérialisé, c’est 5 grammes de gaz à effet de serre et 3 centilitres d’eau. Pour le même ticket de caisse au format papier, on va être sur 2 grammes de gaz à effet de serre et 5 centilitres d’eau ». Nous observons, à partir de cette analyse, que les émissions de gaz à effet de serre du ticket dématérialisé sont supérieures à celle du ticket traditionnel. Un autre coût écologique important concernant le ticket dématérialisé est celui du stockage, comme le souligne Frédéric Bordage. Il rappelle que « tous ces documents numériques doivent être stockés sur les serveurs du commerçant puis dans la messagerie du destinataire ».

Le ticket dématérialisé : une opportunité pour le marketing ciblé. Mais qu’en est-il de la protection des données personnelles ?

Outre la question écologique, l’envoi par courriel du ticket de caisse se heurte au problème de protection des données personnelles. En effet, pour recevoir un ticket de caisse électronique, et avoir ainsi la preuve de son achat, le client devra communiquer ses données personnelles, à minima son adresse électronique. En possession de cette donnée, le commerçant va pouvoir lui envoyer des offres commerciales, de la publicité ciblée, etc. Il va chercher à fidéliser son client. Mais, comme le rappelle la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés) dans son deuxième livre blanc n°2 intitulé « « Quand la confiance paie – Les moyens de paiement d’aujourd’hui et de demain au défi de la protection des données », « une adresse électronique recueillie à des fins d’envoi d’un ticket de caisse ou de paiement dématérialisé ne saurait être utilisée à des fins de prospection commerciale sans respecter les principes en la matière (à savoir le recueil du consentement de la personne concernée, ou l’information et la possibilité de s’opposer préalablement au moment de la collecte s’agissant de prospection concernant des produits ou services analogues à ceux déjà fournis par l’entreprise), la finalité de prospection commerciale et la finalité d’envoi des tickets de manière dématérialisée étant deux finalités bien distinctes ». De même, dans un rapport public intitulé « Marketing ciblé sur internet : vos données ont de la valeur » de février 2009 qui traite des différentes techniques de publicité ciblée en ligne, sur leurs risques d’atteinte à la vie privée et les parades possibles, la CNIL met en garde contre la publicité ciblée. Cette dernière fait craindre notamment « un « profilage » systématique des internautes qui plus est, à leur insu, ainsi qu’un risque de « marchandisation » des profils individuels entre les fournisseurs de contenus et les annonceurs. Dans cette logique marchande, l’internaute est alors considéré comme un « client » qui « vend » ses données personnelles en contrepartie d’un service rendu. Comme dans toute relation commerciale, il devrait alors avoir la possibilité à tout moment de retirer ses données personnelles s’il ne souhaite plus bénéficier du service qui lui est proposé. Or ce n’est pas toujours le cas ».

4. Glossaire

Chaîne de blocs (« blockchain ») : « Technologie de stockage et de transmission d’informations, permettant la constitution de registres répliqués et distribués, sans organe central de contrôle, sécurisées grâce à la cryptographie et structurées par des blocs liés les uns aux autres, à intervalles de temps réguliers » (source : Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST).

Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) : Autorité administrative indépendante instituée en 1978 chargée de veiller à ce que l’informatique ne porte pas atteinte aux libertés, aux droits, à l’identité humaine ou à la vie privée.

Donnée personnelle : « Toute information relative à une personne physique identifiée ou qui peut être identifiée, directement ou indirectement, par référence à un numéro d’identification ou à un plusieurs éléments qui lui sont propres » (Source : article 2 de la loi informatique et libertés).

Loi Agec (loi anti-gaspillage pour une économie circulaire) : Loi qui a pour objectif de lutter contre le gaspillage et de mettre en place une économie circulaire.

EDUCFI : « Dispositif qui consiste en des actions d’information ou de formation, au bénéfice des publics définis par la stratégie, visant à permettre à chacun d’améliorer ses connaissances pratiques sur des sujets financiers » (Source Banque de France).

Marketing ciblé : Stratégie d’identification des clients et de promotion des produits et services par des moyens susceptibles d’atteindre ces clients potentiels.

Minage : Procédé consistant à créer et à assurer la circulation d'une monnaie virtuelle à l'aide d'algorithmes de chiffrement.

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