1. Introduction

Selon François Perroux, la croissance économique est « l’augmentation soutenue durant une ou plusieurs périodes longues d’un indicateur de dimension : pour une nation, le produit global brut ou net, en termes réels ». Pour Simon Kuznets, le théoricien de la croissance, cette dernière peut être définie comme étant « une hausse sur une longue période de sa capacité d’offrir à sa population une gamme sans cesse élargie de biens économiques ».

La croissance d’un pays se mesure à l’évolution de son Produit intérieur brut sur une période donnée. Il existe trois approches du PIB : par la production, le revenu et la dépense.
Il existe trois approches du PIB : par la production, le revenu et la dépense.

  • Approche du PIB par la production. Une première définition précise que le PIB est la valeur (en euros, en dollars) des biens et services finaux produits dans l’économie durant une période donnée. Une deuxième définition présente cet agrégat comme la somme des valeurs ajoutées créées dans l’économie au cours d’une période donnée;
  • Approche du PIB par le revenu : il s’agit de la somme des revenus distribués dans l’économie au cours d’une période donnée.
  • Approche par la dépense. Plusieurs types de dépenses : 1) la consommation finale des ménages ((C) (60 % du PIB) ; 2) l’investissement destiné à l’accroissement du stock de capital dans l’économie (I) (15% du PIB) ; 3) les dépenses publiques de l’État et des administrations publiques (20% du PIB) ; 4) les exportations nettes des importations (X- M). Au total, selon l’approche par la dépense Y (le PIB) = C+ I+ G + (X- M).

La croissance repose sur la combinaison de trois facteurs : le travail (L), le capital (K) et le progrès technique ou productivité globale des facteurs/PGF. Pour Moses Abramovitz (1956), la productivité globale des facteurs est « une mesure de notre ignorance ». Elle constitue la part non expliquée de la croissance. Son évaluation dépend des facteurs pris en compte dans la fonction de production (capital, travail, dépenses de R&D, …). Plus la fonction de production est raffinée, plus la PGF résiduelle est petite.

Les facteurs de croissance de la PGF sont 1) l’élévation de la qualité de la main d’œuvre ; 2) l’innovation et l’organisation (exemple du taylorisme) ; 3) les grandes innovations technologiques, les investissements en R&D, les investissements publics éducatifs, les infrastructures ; 4) les institutionnels.

Comme le souligne Jean- Marie Albertini, « le travail est le premier et le plus essentiel facteur de production. Le capital n’est qu’un facteur de production dérivé. […] L’activité productive d’une économie est, en première analyse, le résultat du travail de sa population. Il existe ainsi une relation étroite entre la croissance économique, le nombre de personnes que l’on peut mettre au travail, et la nature du travail fourni ». Le travail est la principale source de création de richesses. Sans travail, le capital ne peut pas produire.

2. Quid de la contribution du facteur travail à la croissance française ? L’assistanat est-il en train de remplacer le facteur travail ?

« Trouve ton bonheur au travail ou tu ne seras pas heureux »
Christophe Colomb

A. Analyse conceptuelle du facteur travail

Le facteur travail est l’ensemble des activités humaines qui permettent la production de biens et de services. Sa contribution et son efficacité dans la croissance économique dépendent d’une part de la quantité de travail disponible (volume de la population active et durée du travail) et d’autre part, de la qualité du travail (niveau de qualification des travailleurs et productivité du travail).

B. Assistanat versus travail

En France, certains déplorent la dévalorisation du travail. Daniel Martin, sociologue, dans un document intitulé « La société de défiance - Comment le modèle social français s’autodétruit » écrit : « Le travail est dévalué, c’est une valeur ringarde qui ne donne droit à aucun respect. Pire même, les jeunes ne connaissent plus la règle d’après laquelle le travail est un investissement qui doit précéder le plaisir (exemple : impossible de jouer du piano sans apprendre d’abord le solfège et faire des gammes) ». Dans un article intitulé « La fin de la valeur travail en France ? » diffusé sur ce site, nous avons repris la formule de Jacques de Bandt « Le travail pose problème en France ».

Le recul de la valeur travail s’accompagne d’un accroissement important de l’assistanat. Le 21 octobre 2021, le premier ministre Jean Castex a annoncé une nouvelle mesure : la mise en place de « l’indemnité inflation de 100 euros » qui sera versée aux français qui gagnent moins de 2 000 euros net par mois. Cette mesure, qui va coûter 3,6 milliards d’euros, correspond une fois de plus à une fixation arbitraire de seuils de revenu en-deçà duquel sont appliqués les mesures sociales et est très contestable.

Dans une étude intitulée « Favoriser le travail plutôt que l’assistanat » diffusé sur ce site, nous avons illustré le poids de l’assistanat dans l’économie française en évoquant d’une part l’inégalité devant l’impôt et d’autre part, l’opposition idéologique entre impôt-échange et impôt redistributif. Nous assistons à une progression inexorable des minima sociaux et prestations sociales. En 2018, le montant des prestations sociales (santé, retraite, famille, chômage) s’est élevé à 741,1 milliard d’euros selon les chiffres de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) pour un budget total de la nation de 1 318 milliards d’euros. Les comparaisons internationales révèlent une certaine «exception française». Pour Éric Brunet, auteur de l'Obsession gaulliste publié en 2017, « la générosité publique française, la plus importante du monde, donne mais n'apprend pas ». Ce type de politique est lourd de conséquences en termes d'équilibre économique. Il conduit non seulement à un accroissement de l'assistanat, mais il pèse très fortement sur la compétitivité ainsi que sur l'investissement et l'innovation. Dans un article titré « Les Français(e)s sont devenu(e)s de plus en plus des assisté(e)s », Daniel Moinier, écrivain socio-économico-politique écrit : « Mais les temps ont changé, les manifestations sont devenues courantes pour tout, y compris pour demander des aides en tout genre. L’État doit répondre à tout ! Plus il existe d’aides, plus nos concitoyens en redemandent ».

Le facteur travail nous conduit à évoquer le concept de capital humain qui a été formulé pour la première fois en 1961 par l'économiste du développement Théodore Schultz et systématisé par Gary Becker en 1964 qui en donne la définition suivante dans son ouvrage intitulé "Human capital" : « ensemble des capacités productives qu'un individu acquiert par accumulation de connaissances générales ou spécifiques, de savoir-faire, etc.» Par la suite, des économistes comme Mankiw, Romer et Weil ont démontré que les différences de capital humain entre pays permettaient d'expliquer les écarts en termes de croissance économique. Ils reprennent le modèle néo-classique de Solow et y intègrent le capital humain en supposant que ce dernier est un facteur de production au même titre que le capital physique et le travail. Ils ont ouvert la voie aux nouvelles théories de la croissance endogène.

3. Impact de l’accumulation du capital sur la croissance économique française

A. Analyse conceptuelle du facteur capital

D’aucuns définissent le capital comme un « bien produit dans le passé et qui sert à produire d’autres biens dans le futur ». On distingue le capital technique ou physique et le capital financier.

Le capital technique ou physique désigne l’ensemble des moyens de production servant à produire des biens et des services. Il comprend le capital fixe productif et le capital productif circulant. Cette distinction, fondée sur la durée de renouvellement des moyens de production, a été introduite par Ricardo. D’après l’INSEE, le capital fixe productif « comprend les moyens de production relativement durables (dépassant la durée de cycle de production) et participant directement à la fabrication des biens ou à la réalisation de la prestation de service. C’est le cas en particulier des biens d’équipement tes que les machines, les outils, les bâtiments, les matériels de transport, … ». Il se distingue du capital productif circulant, « en particulier par sa durée d’utilisation ou encore son délai d’immobilisation ou bien encore sa durée de vie par rapport par rapport à celle du processus de production ». 2) Le capital productif circulant désigne, toujours selon l’INSEE, « les actifs détenus par l’unité de production (ensemble des biens et services utilisés pendant un cycle de production : matières premières, énergie, fournitures, services nécessaires à chaque stade de la production) et destinés à ne pas y rester durablement, c’est-à-dire pendant moins d’un cycle d’activité. C’est le cas en particulier des stocks de matières premières, des en-cours de production, des produits (intermédiaires, finis) et autres approvisionnements et des stocks de marchandises ».

Le capital financier constitue l’ensemble des actifs financiers à long terme.

B. Le facteur capital dans la croissance

L’accumulation du capital est essentielle pour la croissance : elle augmente d’une part le volume de capital disponible pour la production et d’autre part, elle intègre de nouveaux procédés, de nouvelles techniques qui rendent le capital encore plus productif. Les nouvelles générations de capital étant plus performantes, elles jouent un rôle important dans le processus de croissance. En 1956, l’économiste américain Robert Solow a publié un article intitulé « A contribution to the Theory of Economic Growth » qui s’intéresse à la manière dont l’accumulation du capital peut expliquer la croissance économique depuis la révolution industrielle. Un an plus tard, il cherche à observer empiriquement dans quelle mesure la croissance est expliquée par cette accumulation.

Le facteur capital renvoie à l’investissement, c’est-à-dire à l’augmentation du stock de capital. Au cours des dernières années, la croissance française a surtout été stimulée par les investissements des entreprises. Ces derniers ont contribué à la croissance du PIB à hauteur de 0,6 point en moyenne en 2017 et 2018 contre 0,2 point lors des 5 années précédentes. Ce dynamisme de l’investissement s’est confirmé en 2019. Après une chute générale due à la crise sanitaire de la Covid-19, l’investissement serait en forte reprise en 2021 dans la plupart des secteurs industriels, sauf dans la fabrication de matériels de transport où le rebond serait plus modéré (source : INSEE).

Les facteurs de production sont nécessaires mais pas suffisants pour expliquer la croissance économique. Lorsque nous additionnons le taux de croissance du travail et celui du capital, nous n’expliquons qu’une partie du taux de croissance, le résidu est le progrès technique. En d’autres termes, lorsque l’on retire la contribution du facteur travail et du facteur capital, il reste une quantité de l’accroissement de la production qui n’est expliquée ni par la hausse de la quantité de travail, ni par celle du capital. C’est ce que l’on appelle le résidu de Solow.

4. Comment le progrès technique contribue-t-il à la croissance ?

A. Analyse conceptuelle du facteur progrès technique

Dans le modèle de Robert Solow, l’augmentation des facteurs de production (travail et capital) explique une partie de la croissance. C’est grâce à une augmentation de la quantité de travail disponible, de la qualité du travail (facteur travail) et des investissements (facteur capital), qu’il y a de la croissance. Cela étant, dans « Technological Change and the Aggregate Production Function », Robert Solow démontre qu’une partie de la croissance ne s’explique ni par le facteur travail ni par le facteur capital mais résulte d’un « facteur résiduel », le résidu de Solow. Ce facteur résiduel permet de mesurer les effets du progrès technique. La prise en compte du progrès technique s’effectue de manière exogène, il s’agit d’une « manne tombée du ciel » selon les termes de Solow. En d’autres termes, une partie importante de la croissance provient du progrès technique, mais on ne sait pas pourquoi. De même, dans un billet intitulé « Expliquer la croissance : une division par 2 de notre ignorance », Antonin Bergeaud, Gilbert Cette et Remy Lecat, économistes à la Banque de France, déclarent que « la croissance économique reste très largement inexpliquée par les seuls facteurs de production travail et capital. La prise en compte de leur qualité, ainsi que de la diffusion de l’innovation, réduit d’environ de moitié la part inexpliquée de la croissance. Notre ignorance reste donc forte concernant les sources d’une large part de la croissance ». Ce concept « d’ignorance » qu’évoque les auteurs est emprunté à Moses Abramovitz (voir article intitulé « Resource and Output Trends in the United States since 1870 » publié par le National Bureau of Economic Research (NBER) en 1956.

Le progrès technique peut être défini comme un ensemble d’innovations qui permet d’accroître la productivité des facteurs de production. Cet ensemble d’innovations permet de produire davantage avec la même quantité de facteurs travail et capital.

B. L’impact du progrès technique : la destruction créatrice

Pour Schumpeter, l’évolution économique ne peut résulter d’une modification quantitative comme la hausse de la population ou du capital. Pour cet économiste, le facteur déterminant est l’innovation. Chantre de l’innovation, il a attribué un rôle central au progrès technique.

Dans un ouvrage intitulé « Le pouvoir de la destruction créatrice », Philippe Aghion, Céline Antonin et Simon Bunel, font de « l’innovation cumulative » le principal moteur de la croissance économique. Les coauteurs s’affranchissent de l’approche néoclassique d’une croissance fondée sur l’accumulation du capital, qu’ils jugent incompatibles avec les rendements décroissants que seul le progrès technique permet de contrer. La croissance se fait dès lors par « destruction créatrice ». Ils définissent cette dernière comme le « processus par lequel de nouvelles innovations se produisent continuellement et rendent les technologies existantes obsolètes, de nouvelles entreprises viennent constamment concurrencer les entreprises en place, et de nouveaux emplois et activités sont créés et viennent sans cesse remplacer des emplois et activités existants ».

Lors d’un entretien publié le 16 novembre 2020 par Variances, Céline Antonin, économiste senior à l’OFCE (Sciences Po), souligne que le concept de « destruction créatrice » « est très puissant en économie : il permet de comprendre et d’appréhender de nombreuses énigmes économiques, de l’histoire du décollage industriel à la mondialisation, en passant par les problématiques liées au développement ».

Pour clore notre développement sur le progrès technique, nous proposons d’aborder la recherche et développement (R&D) qui constitue une composante importante du progrès technique.

En 2018, la France se situait en dessous des dépenses moyennes en R&D au sein de la zone euro. Ses dépenses en R&D représentaient 2,2% de son PIB contre 2,21% en moyenne dans les pays de la zone euro (voir graphique). Elles sont inférieures à l’objectif fixé par l’Union européenne (UE) dans le cadre de la « stratégie de Lisbonne », renouvelé dans la stratégie « Europe 2020 », où les dépenses en R&D doivent atteindre 3% du PIB. Depuis 1995, la France connaît une stagnation de la part de la richesse nationale affectée à la R&D, qui demeure autour de 2%.

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5. Conclusion

Comme le souligne l’essayiste Fukuyama dans son ouvrage de 1995 sur « la confiance et la puissance », la croissance économique ne dépend pas seulement de la qualité des pièces détachées qui servent à alimenter son mécanisme : travail, capital, progrès technique. Elle repose sur la confiance. L’auteur relie cette dernière à celle de performance macroéconomique et déclare qu’elle est à ses yeux le facteur essentiel du dynamisme économique d’une nation.

Malheureusement, d’une société de confiance la France est devenue une « société de défiance » (voir l’ouvrage de Yann Algan et Pierre Cahuc intitulé : «La société de défiance: comment le modèle social français s'autodétruit»). De l’avis de ces deux économistes, le déficit de confiance réduit significativement l'emploi, la croissance et surtout l'aptitude des Français au bonheur.

6. Glossaire

Assistanat : Le fait d'être aidé, assisté ou secouru par des organismes publics ou privés.

Capital humain : Ensemble des capacités productives qu'un individu acquiert par accumulation de connaissances générales ou spécifiques, de savoir-faire, etc. (Gary Becker).

Productivité globale des facteurs (PGF) : Rapport de la valeur de la production (quantité produite) à la valeur totale des moyens de production utilisés (travail et capital). Note : La productivité globale des facteurs permet de mesurer l’efficacité de la combinaison productive du travail et du capital.

Productivité du travail : Volume de la production que l’on peut obtenir avec une unité de facteurs de production pour une période donnée.

Résidu de Solow : « Partie résiduelle de la croissance économique qui ne s’explique pas par les variations des volumes des intrants productifs » (Source : Georges Daw).

Théorie de la croissance endogène : Théorie qui explique comment la croissance peut s'auto-entretenir grâce à l'accumulation de différents types de capital : capital technologique, capital physique, capital humain et capital public.

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