L’assistanat est trop développé en France. Nous assistons à un rejet de la valeur travail : plutôt que travailler, certains comptent sur les allocations et aides diverses. Les comparaisons internationales révèlent une certaine « exception française ». D'aucuns parlent de la France comme « la patrie des mille et une allocs ! ». Pour Éric Brunet, auteur de « L'obsession gaulliste » publié en 2017, "l'obsession de l'autocélébration du dogme de l'assistanat est le cœur de l'idéologie française". Après avoir cité le proverbe chinois : "Donne un poisson à un homme, il aura à manger pour un jour ; apprends-lui à pêcher, il aura à manger pour tous les jours de sa vie", cet auteur en conclut que "la générosité publique française, la plus importante du monde, donne mais n'apprend pas". Pour Daniel Martin, « la culture de mépris du travail a favorisé l’abandon à l’État du soin de tout réglementer, de garantir emploi, logement et santé à un peuple dont trop de citoyens ont une mentalité d’assisté ».

Après avoir examiné dans un premier temps le poids de l’assistanat dans l’économie française, nous reviendrons dans un second temps sur la culture de l’assistanat avant de se pencher sur la question de savoir s’il faut élargir le revenu de solidarité active (RSA) aux jeunes âgés de 18 à 25 ans qui sont sans ressource.

1. Le poids de l’assistanat dans l’économie française

Nous proposons d’illustrer l’importance de l’assistanat en France en évoquant d’une part l’inégalité devant l’impôt et d’autre part, l’opposition idéologique entre impôt-échange et impôt redistributif.

En France, nous observons que seulement 44% des ménages sont imposables. Ce chiffre révèle que « l’effort fiscal » est concentré sur un nombre de contribuables qui s’amenuise. Qu’en est-il de l’égalité face à l’impôt pour financer les dépenses publiques dont bénéficient tous les citoyens français sans exception ?

L’égalité devant l’impôt est fondée sur l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui stipule que "Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés". Il s’agit d’un principe général du droit reconnu par le Conseil d’État et d’un principe à valeur constitutionnelle faisant suite à la décision n° 85-200 DC du 16 janvier 1986 article 17 du Conseil constitutionnel qui s'oppose à une rupture caractérisée du principe de l'égalité devant les charges publiques entre tous les citoyens.

La France se caractérise non seulement par une inégalité devant l’imposition, mais aussi par une importante redistribution. La France serait la championne de la redistribution. L’impôt redistributif est l’impôt qui vise à réduire les écarts de revenus entre les ménages d'une même société. Il s’oppose à « l’impôt-échange », « l’impôt-assurance » ou « l’impôt-contrepartie ayant prédominé pendant la seconde moitié du XVIIIème et au cours du XIXème. L’impôt-échange est le prix à payer par le contribuable pour la sécurité et les services que lui apporte l'Etat. Cette politique de redistribution qui tient compte uniquement des revenus et exclut le patrimoine ne cesse de se développer en France. Elle se caractérise par une pression fiscale de plus en plus lourde sur certaines catégories de la population considérées à tort comme riches parce qu’elles ont un revenu de 3 155 euros par mois !

2. La culture de l’assistanat

Les économistes et hommes politiques disposant d’un niveau de salaire très élevé ou d’une importante fortune mobilière se donnent bonne conscience en prônant et en faisant adopter des mesures d’assistanat. Les politiques publiques exprimant la bonne conscience et les bons sentiments sont au centre de la « fabrique de l’assistanat ».

L’assistanat n’est pas souhaitable car il apparaît non seulement comme dégradant pour la personne humaine mais il peut être perçu comme un état de dépendance financière ou morale. Comme le souligne Nicolas Duvoux, professeur de sociologie, dans son article intitulé « Comment l’assistance chasse l’état social », les prestations sociales (RSA et autres) « entretiennent la perte d’autonomie des individus et l’éloignement du marché du travail qu’elles ont vocation à compenser ».

Au lieu de recourir à l’assistanat pour se donner bonne conscience, il faut permettre à tout individu en bonne santé de vivre du fruit de son travail. Le droit au travail est proclamé par l’article 23 de la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948 : « Toute personne a droit au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail et à la protection contre le chômage ». Le travail est au cœur de la dignité de la personne comme le souligne Bruno de Saint Chamas, Président d’Ichtus. Il écrit : « Le travail est un bien de l’homme […] Il est un bien digne, c’est-à-dire qu’il correspond à la dignité de l’homme […] Par le travail, l’homme non seulement transforme la nature mais il se réalise lui-même, en un certain sens, il devient plus homme ». Pour Voltaire, « le travail éloigne de trois grands maux : l’ennui, le vice et le besoin ». De son côté, Renaud Sainsaulieu, auteur de l’ouvrage « Identité au travail », déclare que « le travail est une formidable machine à créer de l’identité sociale ».

Par ailleurs, quid de la responsabilisation des personnes pour limiter le cumul des aides et les dérives de l’assistanat ? Pour Alda Greoli, député wallonne et membre suppléante de la Commission de l’Emploi, de l’action sociale et de la santé, « Il faut responsabiliser les gens en mettant fin à l’assistanat ». D’après cette député, « un décideur politique a deux moyens de voir le citoyen. Soit il le voit debout, responsable et émancipé. C’est un citoyen avec lequel vous parlez d’égal à égal. Soit il le voit d’une autre manière, comme quelqu’un qui a besoin d’être aidé, et donc d’être assisté. Ce regard doit cesser. On ne va certainement pas laisser les gens dans la débrouille mais il faut les responsabiliser en mettant fin à l’assistanat ». Concernant la responsabilisation, la sociologue Jeanne Lazarus, dans un article intitulé « De l’aide à la responsabilisation – L’espace social de l’éducation financière en France », révèle les résultats d’une enquête de terrain de plusieurs années qu’elle a menée auprès de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) et des acteurs français de l’éducation financière (banques, services sociaux, associations). Il ressort entre autres de son enquête que pour certains répondants, « l’acquisition de l’autonomie qui est l’opposé de l’assistanat, permet de se « prendre en main » et de « prendre conscience » de ses faiblesses et erreurs pour devenir un citoyen responsable ». Ainsi, pour lutter contre la culture de l’assistanat, « on va apprendre aux personnes à gérer leur budget et leur finance plutôt que trouver des aides ». Dans l’esprit des spécialistes du social et des décideurs politiques, l’éducation financière va empêcher « les gens de tomber dans l’assistanat ».

Ainsi, depuis 2016, la France s’est dotée d’une stratégie nationale d’éducation économique, budgétaire et financière (EDUCFI), à l’instar d’environ 70 autres pays, qui repose sur les principes élaborés par l’OCDE et adoptés par le G20. La Banque de France a été désignée comme opérateur national par les pouvoirs publics, pour mettre en œuvre cette stratégie. En 2012, l’OCDE donne de l’éducation financière la définition suivante : « combinaison de conscience financière, de connaissance, d’habileté, des attitudes et comportements nécessaires pour prendre les bonnes décisions financières et finalement arriver à un bien-être financier individuel ».

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Source : Banque de France

Dans le contexte actuel de crise sanitaire, la Banque de France a accompli différentes missions d’éducation et d’information comme par exemple :

  • Pour les consommateurs : comment maitriser au mieux leur budget et leur endettement, comment ne pas prendre des décisions hâtives en matière de placement, ou bien comment éviter les arnaques financières sur Internet ;
  • Pour les entrepreneurs : leur faire connaître les dispositifs d’aide ;
  • Pour les intervenants sociaux : renforcer l’information sur les dispositifs d’aide et d’inclusion financière afin d’accompagner les personnes en situation de fragilité financière.

3.  Que penser du RSA pour les jeunes de 18 à 25 ans ?

Le revenu de solidarité active (RSA) assure aux personnes sans ressources ou disposant de faibles ressources un niveau minimum de revenu qui varie selon la composition du foyer. Celui-ci est ouvert, sous certaines conditions, aux personnes âgées d’au moins 25 ans et aux jeunes de 18 à 24 ans s’ils sont parents isolés ou s’il justifient d’une certaine durée d’activité professionnelle.

Des personnalités associatives et politiques plaident pour l’ouverture du RSA aux jeunes de 18 à 25 ans ne disposant pas de ressources et qui sont dans la précarité. Une telle mesure est-elle souhaitable ?

Rappelons tout d’abord que tout lien de filiation dûment établi fait naître une obligation alimentaire réciproque entre ascendants et descendants. Cette obligation légale figure au sein des articles 203 et suivants du Code Civil. Ainsi, en vertu de l'article 207 du Code civil, les parents doivent verser à un enfant des aliments s'il n'a pas d'emploi et s'il est dans le besoin. Le défaut de respect de cette obligation constitue un délit d'abandon de famille passible des peines prévues par l'article 227-3 du Code pénal. En d’autres termes, les parents doivent respecter leur obligation alimentaire envers leurs enfants majeurs.

En outre, qu’en sera-t-il de la désincitation au travail ? Madame Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie et des Finances, s’est dit personnellement défavorable au RSA avant 25 ans. Pour la secrétaire d’État, « le RSA, cela peut-être aussi une trappe à pauvreté et c’est justement ce que l’on ne veut pas ; c’est un piège au début, c’est une mesure positive et après, on n’arrive pas à s’en sortir et au contraire, l’enjeu c’est de donner un maximum d’élan à ces jeunes ». Dans une interview accordée au journal Les Echos le 26 mai 2020, Gabriel Attal, Porte-parole du Gouvernement et ancien secrétaire d’État chargé de la jeunesse, a déclaré : « Il n’y a pas de Covid-19 qui tienne : il ne faudrait pas que le fameux « cancer de l’assistanat » corrompe la jeunesse ». Il a poursuivi en expliquant que l’extension du RSA à tous les jeunes « reviendrait à se placer dans un esprit de défaite, pour les jeunes comme pour l’État ». Il a conclu l’interview en rajoutant : « Aucun jeune ne grandit avec les minima sociaux comme horizon » ; « L’État ne peut se résoudre à un RSA comme solde de tout compte pour sa jeunesse ».

Donner le RSA dès l’âge de 18 ans, n’est-ce pas tuer le goût de l’effort, l’ambition et le mérite ? Il faut donner envie aux jeunes de travailler, pas d’être des assistés. Si on leur accorde un revenu sans travailler comme le RSA par exemple, le risque est de les voir sombrer dans une « trappe à inactivité » (voir glossaire). Certains individus préfèreront rester hors du monde du travail – subsistant sur l’assistance fournie par la collectivité, plutôt que d’essayer d’occuper un emploi. Le chômage est alors volontaire. Pour Stéphane Carcillo, professeur associé au département d’économie de Sciences Po, rendre le RSA accessible dès l’âge de 18 ans, conduit « à générer de l’assistanat auprès des jeunes ».

Pour éviter de plonger les jeunes en âge de travailler dans l’assistanat faute de trouver un emploi, il faut notamment revoir notre système éducatif. Que penser d’un taux de réussite record de 95,7% au baccalauréat 2020 après le rattrapage ? Les années précédentes, les taux de réussite avaient dépassé les 88%, ce qui est encore trop élevé lorsque l’on voit le niveau des bacheliers. Cette massification des bacheliers a entraîné une forte augmentation du nombre de diplômés de l’enseignement supérieur. Comme le souligne la sociologue Marie Duru-Bellat à l’appui des résultats des études du PISA, « cela n’est pas dur de donner des diplômes, mais c’est plus difficile d’élever le niveau scientifique et culturel de la population ». En France, « l’obsession du diplôme, l’hétérogénéité des parcours et la complexité des circuits relèguent, de fait, l’apprentissage au fond de la classe des filières de formation. Tout le contraire du système « dual » allemand qui a su en faire une voie d’excellence à laquelle enseignants, familles et entreprises sont très fiers de contribuer » diagnostique l’économiste Bertrand Martinot. Pour développer l’apprentissage en France et lui rendre ses titres de noblesse, il faut relever le niveau du baccalauréat, lui redonner sa valeur d’autrefois afin que l’entrée à l’université soit plus sélective. L’ex-ministre du travail Muriel Pénicaud avait préconisé une « révolution copernicienne » pour développer l’apprentissage en France, mais qu’en est-il des changements de mentalité afin de ne plus considérer l’apprentissage comme une « voie de garage » ? En Suisse comme en Allemagne, l’apprentissage est une filière d’excellence et constitue l’un des piliers de l’essor économique de ces deux pays où le plein emploi est presque la règle.

4. Conclusion

Comme le souligne le chapitre 3 intitulé « Renforcer les incitations financières au travail : le rôle des prestations subordonnées à l’exercice d’un emploi » d’un rapport de l’OCDE publié en 2005, « améliorer les incitations au travail et faciliter le retour des assistés sociaux à l’autonomie est d’autant plus important que le risque d’une pauvreté persistante est beaucoup plus élevé pour les sans-emploi qui vivent des transferts sociaux que pour les personnes qui travaillent de façon continue ». L’assistanat n’est pas la panacée, bien au contraire. Comment peut-on accepter une situation dans laquelle des personnes refusent de travailler car, grâce au RSA et à de nombreuses aides et allocations, ils gagnent plus en étant oisifs ? La culture pernicieuse de l’assistanat et partant de la déresponsabilisation, développée par un courant politique qui ne défend que ses propres intérêts mais qui prétend avoir le monopole du cœur, doit être dénoncée.

5.Glossaire

Impôt échange : Prix à payer par le contribuable pour la sécurité et les services que lui apport l’État.

Impôt redistributif : Impôt qui vise à réduire les écarts de revenus entre les ménages d'une même société.

PISA (Programme international pour le suivi des acquis des élèves) : Évaluation créée par l’OCDE visant à tester les compétences des élèves de 15 ans en lecture, sciences et mathématiques.

Prélèvement obligatoire : Ensemble des versements effectifs opérés par tous les agents économiques au secteur des administrations publiques (élargi en Europe aux institutions de l’Union européenne).

Trappe à inactivité : Situation dans laquelle un inactif, disposant d’un revenu minimum et de prestations sociales, préfère rester dans le dispositif d’assistance plutôt que de prendre un emploi.

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