D’après les chiffres de l’INSEE, le taux de chômage est en baisse : après + 0,1 point au troisième trimestre 2019, il passe de 8,5% à 8,1% de la population active en France (hors Mayotte) au quatrième trimestre 2019. Il est inférieur de 0,7 point à son niveau du quatrième trimestre 2018. Il diminue pour les personnes de 25 à 49 ans (- 0,5 point) et celles de 50 ans ou plus (- 0,5 point). Parmi les seniors, il baisse plus fortement pour les femmes (- 0,7 point) que pour les hommes (- 0,3 point).

D’après la Direction de l’animation de la recherche et des statistiques (Dares), en France métropolitaine, le nombre de demandeurs d’emplois en catégorie A baisse de 1,7 % (-55 700) au quatrième trimestre et de 3,1 % sur un an. Le nombre de personnes exerçant une activité réduite courte (catégorie B) diminue de 3,3 % par rapport au trimestre précédent et celui des personnes en activité réduite longue (catégorie C) recule de 0,5 %. Au total, le nombre de demandeurs d’emplois en catégories A, B, C diminue de 1,6 % ce trimestre (-87 700) et de 2,9 % sur un an.

Régulièrement, la communication des chiffres du chômage suscite des débats dans l’espace public au motif que ceux-ci ne reflèteraient pas la réalité. Après avoir examiné les causes de ces controverses, nous essaierons de répondre à la question de savoir s’il y a vraiment une embellie sur le front de l’emploi en France.

1. Les mesures du chômage

Comme dans d’autres pays de l’Union européenne, deux indicateurs du chômage coexistent en France : une donnée « statistique » établie par l’INSEE et une donnée administrative, établie conjointement par Pôle emploi et la Dares.

A. Définition du chômage

L’INSEE mesure le chômage selon la définition du Bureau international du travail (BIT). En application de la définition internationale adoptée par le BIT, un chômeur est une personne en âge de travailler (15 ans ou plus) qui répond simultanément à trois conditions :

  • être sans emploi, c’est-à-dire ne pas avoir travaillé au moins une heure durant une semaine de référence ;
  • être disponible pour prendre un emploi dans les quinze jours ;
  • avoir cherché activement un emploi dans le mois précédent ou en avoir trouvé un qui commence dans moins de trois mois.

Ainsi, selon cette définition, l’INSEE considère qu’une personne qui a travaillé au moins une heure au cours de la semaine de référence ou qui a gardé un lien formel avec son emploi (congé annuel, maladie, maternité, etc.) n’est pas au chômage.

Cette mesure du chômage par le BIT ne peut constituer le seul indicateur de la situation du marché du travail car elle ne tient pas compte des chômeurs découragés qui ne se présentent même plus à Pôle emploi afin de rechercher du travail. De surcroit, elle n’intègre pas les travailleurs à temps partiel qui préfèreraient en fait occuper un poste à temps plein.

Une autre mesure du chômage est publiée tous les mois par la DARES et Pôle emploi, et rend compte des demandeurs d’emplois inscrits à Pôle emploi. Parmi ceux-ci, on distingue cinq catégories, de A à E :

  • la catégorie A comprend les personnes sans emploi, en recherche active d’un emploi, quel qu’en soit le type de contrat ;
  • la catégorie B englobe les personnes disposant d’un emploi de moins de 78 heures par mois, en recherche active d’emploi ;
  • la catégorie C inclut les personnes disposant d’un emploi de plus de 78 heures par mois, en recherche active d’emploi ;
  • la catégorie D comprend les personnes sans emploi qui ne sont pas immédiatement disponibles pour occuper un emploi et qui ne sont pas tenues de rechercher activement un emploi ;
  • la catégorie E compte les personnes disposant déjà d’un emploi et qui ne sont pas tenues de rechercher activement un emploi.

La définition du concept de chômage n’étant pas la même pour l’INSEE et Pôle emploi, certains demandeurs d’emploi ne sont pas chômeurs selon la définition du BIT et inversement certains chômeurs ne sont pas inscrits à Pôle emploi. D’où des différences du nombre de chômeurs entre les données de l’INSEE et celles de Pôle emploi.

B. Estimation du chômage

Pour estimer le nombre de chômeurs, l’INSEE procède par sondage : il s’agit de « l’enquête emploi qui vise à décrire l’état du marché du travail et son évolution. Celle-ci est conduite auprès d’un large échantillon représentatif de l’ensemble de la population. Depuis 2003, le dispositif mis en place permet une évaluation trimestrielle du chômage et de l’emploi et non plus seulement annuelle comme c’était le cas jusqu’à présent. De plus, la collecte de l’information a désormais lieu en continu sur toutes les semaines de l’année, au lieu d’être concentrée au mois de mars comme auparavant. D’où sa nouvelle appellation d’ « enquête emploi en continu » qui est réalisée auprès de 110 000 personnes résidant dans des « logements ordinaires », c’est-à-dire dans tous les logements à usage de résidence principale excepté les communautés ou collectivités (foyers de jeunes travailleurs, résidence universitaire, prison, et.). De son côté, Pôle emploi collecte les chiffres des demandeurs d’emploi inscrits dans ses agences en fin de mois.

C. Différences entre les chiffres du chômage fournis par l’INSEE et Pôle emploi

L’INSEE et Pôle emploi s’accordent pour annoncer qu’en 2019 le nombre de chômeurs a baissé en France. Si la tendance est la même pour ces deux organismes, il existe des divergences lorsqu’il s’agit de dénombrer le nombre de demandeurs d’emploi. Ainsi par exemple, alors que Pôle emploi recensait environ 3,5 millions de chômeurs au quatrième trimestre 2019 en France, l’INSEE en comptait un peu plus de 2,4 millions. Cet écart, loin d’être négligeable, n’a cessé d’augmenter au cours des dernières années. Il était de 300 000 personnes en 2013, il a atteint 800 000 personnes en 2017.

Une étude intitulée « Les chômeurs au sens du BIT et les demandeurs d’emploi inscrits à Pôle emploi : une divergence de mesure du chômage aux causes multiples » menée par la DARES et l’INSEE révèle les raisons d’un décalage croissant entre les chiffres qu’ils produisent chacun de leur côté. Comme on l’a vu précédemment, s’il existe un tel décalage, cela est dû tout d’abord au fait que la définition du chômage donnée par les deux institutions n’est pas la même. Par ailleurs, la méthodologie permettant de collecter les données varie d’un organisme à l’autre. Pôle emploi exploite un fichier administratif, à savoir le nombre de demandeurs d’emploi inscrits alors que l’INSEE effectue une enquête chaque trimestre auprès de 110 000 personnes âgées de plus de 15 ans.

Les statistiques sur le chômage, qu’elles proviennent de l’INSEE ou de Pôle emploi, donnent régulièrement lieu à des critiques et sont remises en cause. D’aucuns parlent même de chiffres « mensongers ». A l'évidence ces écarts importants rendent les statistiques du chômage toutes relatives et certains parlent même d’une baisse en trompe l’œil du chômage. La question se pose alors de savoir si l’on peut parler d’une amélioration du marché du travail en France.

2. Diagnostic du marché du travail en France

Le chômage suit une tendance à la baisse depuis 2015, voire 2014. Mais comme le soulignent des économistes comme François Fontaine, chercheur et professeur à l’Université Paris 1, « le taux de chômage n’est pas un indicateur suffisant pour comprendre ce qui se passe sur le marché du travail et pour savoir si un marché du travail s’améliore ou se dégrade ». Qu’en est-il réellement de la situation du marché du travail en France ?

D’autres indicateurs quantitatifs et qualitatifs témoignent que d’importantes réformes doivent être envisagées pour que la France n’ait plus « mal à ses emplois » (expression empruntée à Eric Fottorino et al.).

A. Baisse du chômage et productivité

Le lien entre croissance économique et création d’emplois dépend à terme de l’accroissement de la productivité apparente du travail. A niveau de croissance égal, l’accroissement des postes de travail offerts est d’autant plus forte que la productivité du travail progresse faiblement et que son évolution ne permet pas de répondre à l’augmentation de la production.

La productivité mesure l’efficacité productive d’un pays. On peut la cerner au moyen de deux indicateurs : soit la productivité du travail mesurée par la valeur ajoutée par travailleur, soit la productivité globale des facteurs (PGF) qui permet de mesurer l’efficacité de la combinaison productive des facteurs.

La productivité a dramatiquement ralenti en France ces dernières années. Ainsi, les gains de productivité français, qui tournaient autour de 2 % par an dans les années 1980, sont tombés à moins de 1 % à la fin des années 2000, à 0,4 % sur la période 2012-2017 et à 0 % début 2019. La baisse de la productivité, en partie due aux différentes mesures visant à faciliter l’utilisation de la main-d’œuvre (augmentation du temps partiel et allègement des charges sur les bas salaires), est à l’origine de créations d’emplois plus nombreuses. D’ailleurs, d’aucuns expliquent la baisse du chômage par le ralentissement des gains de productivité. Gilbert Cette, professeur d’économie à l’université d’Aix-Marseille, estime qu’« à court terme, il faut se réjouir de cette réduction du chômage, même s’il n’y a pas de gains de productivité ». Si l’on peut s’en réjouir à court terme, à long terme la croissance va en pâtir.

B. Sclérose du marché du travail

En France, le marché du travail reste sclérosé eu égard notamment à un mauvais management et à une mauvaise reconnaissance du mérite et des compétences.

Le blocage du marché du travail en France incite les jeunes diplômés à accepter un emploi inférieur à leur formation et à leurs aptitudes. Nous assistons depuis de nombreuses années à une dévalorisation des diplômes et à un déclassement social. A cet égard, une étude du CEREQ (Centre d'études et de recherches sur les qualifications) de mai 2018 révèle que les diplômes de l'enseignement supérieur sont beaucoup moins rentables qu'il y a 20 ans. Avec une licence, on est bien moins payé qu'il y a 20 ans et avec un master, l'écart est encore plus important. Lorsque l'on sort d'une grande école, on gagne 220 euros de moins par mois qu'en 1997. En outre, nous constatons qu’un doctorat (PhD en anglais) est un signe d'excellence à l'étranger alors qu'en France 12% des jeunes docteurs sont encore en recherche d'emploi trois années après avoir obtenu leur thèse contre 4 ou 5 % dans la plupart des pays développés.

La dévalorisation des diplômes et le déclassement social pour certains et la prime à l’incompétence pour d’autres qui sont promus à des postes à responsabilité malgré leur inaptitude avérée aggravent le sentiment de mal-être au travail et entraînent une hausse de l’absentéisme. De même, la méfiance, la frilosité et surtout le manque de discernement de certains recruteurs est à l'origine de l'embauche ou de la promotion de personnes qui ne sont pas à la hauteur de la fonction et de la mission. A ces défauts concernant le recrutement, il faut rajouter le manque de transversalité dans l’employabilité. En France, la théorie du signal dont Michael Spence est l’un des principaux promoteurs n'a pas droit de cité et le marché du travail reste très sclérosé. Ainsi, par exemple, lorsqu'une personne postule pour un emploi, le recruteur qui examine les CV ne s'attarde pas la plupart du temps sur les qualités, l'intelligence, la capacité à travailler, ... du candidat mais s'attache souvent à s'assurer seulement que les études (détention de telles ou telles connaissances) et le parcours professionnel du candidat correspondent exactement au poste offert. Nous sommes loin de la théorie du signal ! Cette rigidité au niveau du recrutement, qui est le corollaire d'un manque de bon sens et de perspicacité, prive le monde du travail de véritables talents.

Ces comportements qui caractérisent notre marché du travail conduisent à un profond malaise sociétal, à une société française en état de stress et partant nuisent au bon fonctionnement de notre économie.

C. Précarité du travail et de l’emploi

Le dictionnaire de l’Académie française définit le concept « précarité » comme le « caractère de ce qui est instable , incertain ». Sous le vocable « emploi précaire » on trouve les contrats de travail qui ne sont pas à durée indéterminée et dont la durée est donc limitée ou non définie comme notamment les contrats à durée déterminée (CDD), les CDI de mission, les contrats d’intérim. Pour le sociologue Serge Paugam , il faut distinguer la précarité de l’emploi d’une part et la précarité du travail d’autre part. Il parle d’emploi précaire lorsque « l’emploi est incertain et que le salarié ne peut prévoir son avenir professionnel » sa situation étant « caractérisée par une forte vulnérabilité économique et une restriction, au moins potentielle, des droits sociaux ». S’agissant de la précarité du travail, elle apparaît lorsque « le travail semble sans intérêt pour le salarié qui est mal rétribué et faiblement reconnu dans l’entreprise ».

Nous observons que la précarité de l’emploi se généralise. De plus en plus de parcours professionnels sont caractérisés par l’intermittence en emploi et par des temps de travail, donc des revenus, irréguliers et/ou insuffisants. Les populations les plus touchées sont les jeunes. Cette constatation renvoie essentiellement aux difficultés d’insertion dans le premier emploi. Quant aux seniors (50-64 ans), selon une étude de l’INSEE publiée en juillet 2018, ils occupent de plus en plus d’emplois à temps partiel ou à durée limitée. Ainsi, entre 2007 et 2017, la part de temps partiel a crû de 2,2 points pour les 50-64 ans, contre seulement 0,2 point pour les 25-49 ans. Cette précarisation du travail des seniors est également visible pour les emplois à durée limitée : entre 2007 et 2017, la part de ces emplois a augmenté de 2,1 points pour les 50-64 ans.

La précarité de l’emploi ne touche pas que les salariés du secteur privé. En effet, le secteur public est également fortement touché par le développement des emplois précaires, notamment avec le développement des contractuels.

3. Conclusion

Ces dernières années, le taux de chômage a certes tendance à diminuer mais nous restons encore à des niveaux élevés comparés à l’Allemagne (3 %) et le Royaume Uni (3,8 %). En conséquence, le gouvernement doit faire un très gros effort en faveur de l’emploi en général et mettre en œuvre une politique permettant à chacun d’obtenir un emploi car selon la Constitution « chacun a le droit de travailler et d’obtenir un emploi ». Il faut que l’emploi reste une priorité sinon toute les solutions qui seront mises en place seront vouées à l’échec. En outre, les réformes structurelles qui devront être mises en place pour débloquer le marché du travail ne pourront être un succès que si la France change ses mentalités.

4. Glossaire

Absentéisme : "Absence qui aurait pu être évitée par une prévention suffisamment précoce des facteurs de dégradation des conditions de travail entendus au sens large : les ambiances physiques mais aussi l'organisation du travail, la qualité de la relation d'emploi, la conciliation des temps professionnel et privé, etc." (Source : ANACT).

Actif : Personne en emploi et chômeur au sens du BIT.

Bureau international du travail (BIT) : Organisme rattaché à l’Organisation des Nations Unies (ONU) qui est chargé des questions générales liées au travail dans le monde.
Note : Le BIT harmonise les concepts et définitions relatives au travail et à l’emploi, en particulier celles relatives à la population active occupée et aux chômeurs.

CDI de mission  ou CDI de projet ou CDI de chantier : Contrat conclu pour la durée d’une mission ou d’un chantier, instauré par la réforme du marché du travail d’Emmanuel Macron.
Note : Le CDI de mission a pour spécificité de pouvoir être valablement rompu par l'employeur lorsque la mission ou le chantier pour lequel le salarié a été recruté est achevé. D’aucuns parlent de "faux CDI", de "contrats Kleenex".

Déclassement : "Le fait, pour un employé, de posséder un niveau de formation a priori supérieur à celui requis pour l'emploi qu'il occupe" (Forgeot et Gautié).

Demandeur d’emploi : Personne inscrite sur les listes de Pôle emploi.

Taux de chômage : Rapport entre le nombre de chômeurs et le nombre de personnes actives (en emploi ou au chômage).

Taux de chômage de longue durée : Part des actifs au chômage depuis au moins un an dans la population active.

Théorie du signal : Théorie selon laquelle le contenu de l'enseignement n'a pas d'importance directe : seules comptent son rôle d'obstacle révélateur des capacités des étudiants et la dimension sélective des établissements d'enseignement supérieur.
Note : La théorie du signal s’oppose à celle du capital humain selon laquelle le contenu de l'éducation reçue détermine directement les compétences, les savoirs et la productivité (l’enseignement a une valeur utilitaire précise).

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