D'après la Note de conjoncture immobilière des notaires de France publiée en octobre 2019, la France a enregistré 1 020 000 transactions immobilières sur douze mois à fin juillet 2019 soit +7 % sur un an. Ce record de transactions s'étant accompagné d'une hausse de prix vertigineuse, la banque suisse UBS tire la sonnette d'alarme. Ainsi, l'indice UBS Global Real Estate Bubble 2019, dans sa cinquième édition de l'étude annuelle menée par le Chief Investment Office (CIO) d'UBS Wealth Management publiée en septembre 2019, conclut à un risque de bulle ou à une surévaluation notable des marchés immobiliers dans les moitiés des 24 grandes villes retenues dans l'étude dont Paris.

Mais qu'est-ce qu'une bulle immobilière ? Selon la définition de Joseph Stiglitz, une "bulle spéculative" est "un état du marché dans lequel la seule raison pour laquelle le prix est élevé aujourd'hui est que les investisseurs pensent que le prix de vente sera encore plus élevé demain, alors que les facteurs fondamentaux ne semblent pas justifier un tel prix". La détection d'une bulle immobilière revient donc à s'interroger sur le caractère soutenable ou non du niveau des prix immobiliers au regard de ses déterminants fondamentaux.

Après avoir présenté la situation tendue du marché immobilier parisien, nous en analyserons les conséquences au niveau socio-économique. Puis, nous nous interrogerons sur le risque d'une bulle immobilière.

1. La situation tendue du marché immobilier parisien

A. Asymétrie entre l'offre et la demande

Le marché immobilier parisien se caractérise par une grande asymétrie entre l'offre et la demande: les vendeurs sont en effet bien moins nombreux que les acquéreurs potentiels. En conséquence, le marché est à flux tendu et les prix immobiliers sont bien plus élevés à Paris que dans le reste des grandes villes françaises. Les vendeurs proposent des prix très nettement supérieurs à la réalité du marché, au point d'être totalement déconnectées avec le prix que les acquéreurs acceptent aujourd'hui de payer. Ainsi, Paris continue de tirer vers le haut les prix des appartements : +6,4 % sur un an au premier trimestre 2019, après +5,7 % au quatrième trimestre 2018 et +6,2 % au troisième trimestre 2018.

Face à des prix aussi élevés, qui sont les acheteurs potentiels ?

  • Des acheteurs étrangers comme par exemple les Américains, les Français qui quittent Londres à cause du Brexit, ...
  • Des acheteurs français qui disposent de revenus qui n'ont plus rien à voir avec ceux des acheteurs classiques des autres métropoles françaises. Dans les années 60, un ouvrier pouvait encore acheter à Paris. Dans les années 70, les cadres avaient encore les moyens financiers pour investir dans la capitale. Dans les années 80, c'étaient surtout les cadres supérieurs qui pouvaient acheter. Aujourd'hui, cela n'a plus rien à voir avec ces profils classiques.
  • La troisième catégorie d'acheteurs englobe ceux qui ont un apport personnel considérable au-delà même de leur niveau de revenus ; apport qui provient essentiellement de la "mobilité résidentielle".

Pour qualifier le marché immobilier parisien, d'aucuns parlent d'un marché de pénurie. La question qui se pose alors consiste à examiner les facteurs qui sont à l'origine de cette pénurie.

B. Un marché de pénurie

Les facteurs qui sont à l'origine de la situation tendue du marché immobilier parisien sont notamment la forte croissance de l'offre "Airbed and Breakfast" (AirBnb) et le pourcentage élevé de logements sociaux.

  • AirBnb
    L'offre "Airbed and Breakfast" (AirBnb) de deux étudiants à San Francisco est une plateforme qui permet aux personnes de rechercher, louer et/ou répertorier des logements. Paris est une destination clé pour AirBnb, où sa croissance a explosé au cours des cinq dernières années. Le nombre de logements intégralement loués à des fins touristiques a pris des proportions considérables. Ainsi, "en cinq ans, le marché locatif traditionnel parisien a perdu au moins 20 000 logements" a calculé la mairie de Paris. La location AirBnb est devenue une activité de plus en plus professionnelle. Aujourd'hui, certains "hôtes" louent des dizaines d'appartements différents pendant une très grande partie de l'année et collectent des centaines de milliers d'euros de revenus annuels. Le phénomène AirBnb est à l'origine d'une nouvelle "rente immobilière".

    La plateforme "Inside AirBnb" révèle que le prix des locations parisiennes via AirBnb est trois fois plus élevé que le prix moyen des locations à long terme, déjà très élevé dans la capitale où il faut compter en moyenne 1000 euros par mois pour louer un appartement de 30 m2. On s'éloigne de l'économie de partage ou de l'économie collaborative qui caractérisait les débuts d'AirBnb, où l'on était accueilli chez l'habitant qui louait occasionnellement une chambre pour arrondir ses fins de mois.

    Les hôteliers de la capitale française dénoncent AirBnb et exigent de nouvelles réglementations. Mais ils ne sont pas les seuls à souffrir de cette situation. En effet, le succès de la plateforme qui permet de louer son appartement entre particuliers est devenu un véritable souci non seulement pour les hôteliers mais également pour les Parisiens. La multiplication des locations meublées touristiques d'ailleurs pas toujours légales entraîne à la fois une diminution de l'offre locative privée et une hausse du coût des logements, tant à la location qu'à l'achat. Pour la municipalité, cela se traduit par une baisse de sa taxe sur les nuitées ou l'existence de certains immeubles ou quartiers dédiés uniquement aux touristes. Cela étant, les autorités n'envisagent pas de faire comme à Berlin, c'est-à-dire de limiter les locations à une chambre et non pas à un appartement, car elles sont conscientes qu' AirBnb attire des touristes qui ne seraient pas venus dans la capitale sans ces prix attractifs.
  • Logements sociaux
    La France compte près de 5 millions de logement sociaux publics, soit près de 23 % du parc européen alors qu’elle ne représente que 13 % de la population de l’Europe. En France, près de 18 % de la population est logée dans des logements sociaux contre 4 % en Allemagne. A Paris, le nombre de logements sociaux de la loi SRU (Solidarité et renouvellement urbain) est de 237 858 au 1er janvier 2017, soit 20,5 % des résidences principales. L'ambition de la maire de Paris, Madame Hidalgo, est d'atteindre 25 % de logements publics à Paris d'ici 2025 et 30 % d'ici 2030, grâce à un rééquilibrage est-ouest de la répartition des logements sociaux. A ces logements sociaux s'ajoutent les centres d'hébergement d'urgence ou les places dans des foyers de travailleurs migrants.

    A l'inverse du parc social qui ne cesse d'augmenter, celui du locatif privé a fortement diminué ces dernières décennies dans le capitale et ne compte plus que 470 000 logements y compris les meublés. Ainsi, les logements sociaux de la ville pèsent près du tiers du parc locatif total. L'objectif de 30 % de logements sociaux en 2030 nécessite d'en rajouter 120 000. La plupart seront pris sur le secteur privé, ce qui va conduire à une situation dans laquelle le social pèsera près de 50 % du parc locatif, un niveau extrêmement élevé.

    En outre, à Paris 882 logements sociaux seraient proposés à la location saisonnière via AirBnb. En effet, alors que la sous-location d'un logement est interdite par l'article 8 de la loi du 6 juillet 1989 sur les baux d'habitation à usage de résidence principale, sauf si le propriétaire donne son accord, le scandale de sous-location d'un logement social a été révélé dans la presse. Ainsi, une personne qui s'est vue attribuer un luxueux appartement de 95 m2 situé dans le 16ème arrondissement pour un loyer de 950 euros par mois, l'a proposé en sous-location pour 225 euros la nuit au mépris de la loi.

    A ces deux facteurs qui expliquent les tensions régnant sur le marché immobilier parisien, il faut rajouter celui relatif à la pénurie de fonciers disponibles. Cette pénurie freine la construction de nouveaux logements et aggrave la rareté de l'offre.

    Cet état des lieux du parc immobilier parisien révèle que le logement est devenu un fardeau pour les classes moyennes même supérieures.

2. Les conséquences socio-économiques de la situation critique du marché immobilier parisien

A. Les classes moyennes en voie de disparition à Paris

Les classes moyennes disposent de ressources trop élevées pour prétendre au logement social mais trop faibles pour louer ou acquérir dans le secteur libre. La politique de préemption de logements a fait grimper les prix et la capitale est devenue beaucoup trop chère pour les classes moyennes. Ces dernières se trouvent alors évincées et reléguées en zones périurbaines, loin de leur emploi alors que des personnes qui ne travaillent pas ont le privilège d'habiter à Paris grâce à l'obtention de logements sociaux et de nombreuses aides sociales. A cet égard, d'aucuns vont jusqu'à affirmer que "ne peuvent désormais vivre à Paris que les très aisés ou les très aidés". Dans leur ouvrage intitulé "Quitter Paris ? Les classes moyennes entre centres et périphéries", les sociologues et urbanistes Eric Charmes, Lydie Launay et Stéphanie Vermeersch confirment que la capitale voit une part grandissante de sa classe moyenne forcée de s'installer à ses franges.

Ainsi, avec ses 105km2, Paris intra-muros attire des populations aux profils de plus en plus contrastés : les très riches qui s'établissent dans "l'ancien" et les très pauvres qui occupent les logements sociaux. En d'autres termes, Paris se vide à grande vitesse de ses classes moyennes. N'y resteront bientôt que les habitants à hauts revenus et les familles pauvres qui vivotent grâce aux minima sociaux.

B. Pénalisé par le logement, Paris perd de son dynamisme et de son attractivité

La nouvelle configuration de la population parisienne avec une baisse significative des classes moyennes pèse sur le dynamisme de la capitale. Pour bien fonctionner, une ville doit s'appuyer sur une consommation et un investissement forts. A cet égard et pendant des décennies, les classes moyennes ont été à l'origine entre autres de commerces florissants. Elles ont joué un rôle économique et social déterminant puisqu'elles représentent un moteur de croissance. La disparition progressive des classes moyennes va peser lourdement sur la vitalité de la capitale. En effet, il ressort de certaines enquêtes dont celle menée par Cadremploi en 2018 que 80 % des cadres souhaitent fuir Paris pour s'installer en province. Malgré certains atouts de la capitale comme son offre culturelle, 70 % d'entre eux seraient même prêts à franchir le pas dans les trois ans à venir. Les raisons sont notamment le coût de la vie, le temps de transport excessif et les problèmes de logement.

Cette désertion de Paris par les classes moyennes va à l'encontre de la politique visant à redynamiser les centres-villes. Nous en voulons pour preuve que de très nombreux commerçants baissent le rideau et ne trouvent pas de repreneurs.

S'agissant d'attractivité, des chargés d'étude sur l'habitat pour l'Institut d'aménagement et d'urbanisme d'Ile-de-France, Anne-Claire Davy et Emmanuel Trouillard, affirment que la pression du logement trop cher à Paris nuit à son attractivité économique. Parmi les grands métropoles françaises les plus attractives, Paris a perdu de son panache. La capitale perd chaque année 12 000 habitants. Pour rester attractif, Paris doit prendre à bras-le-corps les problèmes de logement et de transport car les conditions de transport particulièrement difficiles et les difficultés pour se loger ont de quoi décourager les salariés les plus motivés.

Si Paris se vide de ses actifs pour des problèmes de logement notamment, il attire en revanche de très nombreux touristes. Son activité principale consiste en effet en un tourisme de masse. Paris est devenu la "ville-musée mais la capitale n'en profite pas pleinement. On observe en effet que les visiteurs dépensent beaucoup moins en France que dans d'autres pays comme l'Espagne ou les Etats-Unis. Avec 54 Md€ de recettes touristiques, la France apparaissait en 2017 loin derrière les Etats-Unis (190 Md€) et l'Espagne (60Md€). Elle n'apparaît qu'à la 17ème place du classement fondé sur le chiffre d'affaires par touriste, très loin derrière la Suède, chef de file sur ce critère. En outre, dépendre uniquement du tourisme présente un risque réel. La baisse du volume des affaires consécutive à la crise des "gilets jaunes" en est un exemple. Des villes comme Venise, Amsterdam et Barcelone ont pris conscience des problèmes qu'entraînaient un tourisme de masse et ont adopté certaines mesures pour freiner l'afflux de touristes, notamment à l'encontre des locations AirBnb. A Barcelone, la Mairie a réagi contre le développement exacerbé des locations AirBnb qui a augmenté les loyers et chassé les Barcelonais de centre -ville au profit des touristes. Comme dans la capitale catalane, la Mairie d'Amsterdam a décidé de restreindre les locations AirBnb voire de les interdire dans certains quartiers.

3. Le risque d'une bulle immobilière

A. Qu'est-ce qu'une bulle immobilière ?

On parle de bulle immobilière lorsque le prix des biens immobiliers se déconnecte de ses déterminants fondamentaux. Les prix augmentent tellement vite qu'ils deviennent déconnectés de l'économie réelle (loyers, revenus, etc.). Selon Thomas Grejbine, économiste au Centre d'études prospectives et d'informations internationales (CEPII), "nous pouvons considérer que nous sommes en présence d'une bulle lorsque d'une part l'évolution des prix immobiliers et celle des loyers sont déconnectées l'une de l'autre, ce qui signifie que la valeur de l'actif immobilier est déconnectée de ses rendements ; et d'autre part, lorsqu'il existe un net décalage entre l'évolution des prix immobiliers et l'augmentation des revenus".

B. Le risque d'une bulle immobilière à Paris ?

A la lumière des définitions précédentes, la question se pose de savoir si nous allons être confrontés à une bulle immobilière.

Quels sont les signaux qui font craindre la formation d'une bulle immobilière ?

  •  L'ampleur et la durée de la hausse des prix à Paris. Dans une étude sur le logement, l'Insee confirme qu'à Paris, depuis l'an 2000, les prix d'achat ont augmenté deux fois plus vite que les loyers. Selon les données publiées en septembre 2019 par la chambre des notaires, le prix moyen du mètre carré dans la capitale a enregistré une hausse de plus de 66 % en dix ans. les prix de l'immobilier dans la capitale française sont considérés comme étant les plus surévalués dans toute l'Europe. Nous nous trouvons face à un marché immobilier spéculatif.
  • L'écart entre la croissance du produit intérieur brut et celle des prix de l'immobilier ne peut continuer à se creuser.
  • La durée des prêts n'est pas extensible à l'infini.
  • Le ratio de solvabilité des ménages ne cesse de se dégrader, comme le révèle le Haut Conseil de Stabilité Financière (HCSF) qui a publié le 1er octobre 2019 un diagnostic qui, s'il se veut rassurant, pointe néanmoins les risques liés à cette euphorie immobilière.
  • La politique des taux bas fait certes le bonheur des investisseurs immobiliers et soutient le secteur de la construction, mais elle crée aussi une bulle.
  • Les produits financiers perdant de leur attrait, les rendements de la pierre deviennent irrésistibles, nourrissant encore la bulle immobilière.

A Paris, on n'est pas encore vraiment entré dans une bulle immobilière mais selon les spécialistes et au regard des arguments évoqués ci-dessus, les conditions sont presque réunies pour que ce phénomène se produise.

4. Glossaire

AirBnb : Plateforme communautaire payante de location et de réservation de logements de particuliers.

Bulle spéculative : Hausse importante des prix des actifs financiers ou des prix dans un secteur donné comme l'immobilier sans que la situation économique réelle le justifie.

Haut Conseil de Stabilité Financière (HCSF) : Autorité macroprudentielle française chargée "d'exercer la surveillance du système financier dans son ensemble afin d'en préserver la stabilité et la capacité à assurer une contribution soutenable à la croissance économique" (article L.631-2-1 du Code monétaire et financier).

Logement social : Logement dont la construction bénéficie de soutiens publics, et destiné à loger des personnes à faibles ressources.
Les logements sociaux se différencient par leur mode de financement :
- Les logements A (PLA I/Prêt locatif aidé d'intégration) sont des logements très sociaux pour les personnes cumulant des difficultés économiques et sociales.
- Les logements B (PLUS/Prêt locatif à usage social) correspondent aux logements sociaux classiques, les plus nombreux.
- Les logements C (Prêt locatif social) sont des logements sociaux de type intermédiaire, destinés notamment aux classes moyennes.

Mobilité résidentielle : Propension d'un individu ou d'un groupe d'individus à se déplacer d'un lieu de résidence à un autre.

Solvabilité : Capacité d'une personne physique ou morale à faire face à ses engagements.

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