La mesure du Président Macron visant l'exonération de la taxe d'habitation sur la résidence principale pour 80 % des ménages a été définitivement adoptée le 21 décembre 2017 dans le cadre de la loi de finances pour 2018. La loi prévoit une baisse progressive à partir de 2018 puis sa suppression en 2020.

Ainsi, pour les foyers concernés, la taxe d'habitation sera abattue de 30% en 2018 puis de 35% en 2019 et enfin de 35% en 2020. A partir de 2020, seuls 20% des ménages continueront de la payer. Cette baisse concernera 17,2 millions de foyers fiscaux. Le manque à gagner est estimé à 10 milliards d'euros pour les communes.

Les plafonds à ne pas dépasser pour être exonéré de cette taxe figurent dans la loi de finances pour 2018. Les contribuables qui ne dépassent pas ces plafonds ont bénéficié d'un allègement dès l'automne 2018, avec une première baisse d'un tiers du montant de leur impôt local.

Cette mesure soulève la question de l'égalité devant les charges publiques.

1 - Le concept "d'égalité devant les charges publiques"

Le principe d'égalité devant les charges publiques, opératoire dès les années 1950, répond aux idéaux d'une société démocratique et à la protection des droits de l'homme. Il a été consacré comme principe général du droit.

Lorsque l'on affirme que les citoyens doivent être égaux devant les charges publiques, cela signifie qu'ils doivent être égaux devant les prélèvements que l'on exige d'eux pour financer les dépenses publiques.

De nombreux théoriciens dont Gaston Jèze et Adam Smith se sont penchés sur la question de l'égalité des citoyens devant les charges publiques. Ainsi, dans son Cours de Finances Publiques Gaston Jèze écrit que l'impôt est "une prestation pécuniaire, requise des particuliers par voie d'autorité, à titre définitif et sans contrepartie, en vue de la couverture des charges publiques ». Pour Adam Smith, l'impôt est un instrument confié à l'Etat pour le financement des biens et services publics. Adam Smith l'assortit de 4 règles fondamentales qui doivent servir de balises à sa mise en œuvre :

  • la règle de justice : les sujets de chaque État doivent contribuer aux dépenses du gouvernement, autant que possible en raison de leurs facultés respectives c'est-à-dire en proportion du revenu dont ils jouissent respectivement sous la protection de l'État ;
  • la règle de certitude : la taxe est certaine et non arbitraire. Autrement dit, le contribuable doit être informé des obligations et des privilèges qui sont les siens, tout comme il doit être avisé de leurs importances pécuniaires.
  • la règle de commodité : toute contribution doit être levée à l'époque et selon le mode de paiement qui paraît le plus convenable pour le contribuable.
  • la règle d'économie : toute contribution doit être établie de manière à retirer des poches du peuple aussi peu que possible au-delà de ce qu'elle fait entrer dans le Trésor de l'État.

 Avant d'examiner le respect des principes d'égalité devant l'impôt de cette mesure, quelques rappels sur les enjeux économiques de la taxe d'habitation.

2 - Les enjeux économiques de la taxe d'habitation

La taxe d'habitation est un impôt local qui dépend de caractéristiques du logement, de sa localisation et de la situation personnelle du contribuable au 1er janvier. Héritière de la contribution mobilière, l'un des quatre impôts appelés les "quatre vieilles", la taxe d'habitation est due par les personnes (propriétaires ou locataires) qui occupent un logement. Elle ne concerne que les locaux affectés à l'habitation et leurs dépendances.

L'assiette de la taxe d'habitation est très différente de celle des autres impositions de revenus. Elle est définie par la valeur locative cadastrale des locaux meublés, c'est-à-dire le loyer théorique que le bien imposé pourrait procurer dans des conditions normales de location. Elle peut être réduite par des exonérations attachées à la nature des locaux et surtout, à la situation des occupants, en raison de la modicité de la modicité de leur revenu fiscal de référence ou de situations bien particulières.

La taxe d'habitation était jusqu'à présent, l'imposition payée par le plus grand nombre de contribuables avec 30 millions de foyers imposables contre 17,1 millions seulement pour l'impôt sur le revenu, soit la moitié des foyers fiscaux (37,4 millions de foyers fiscaux). Créée en 1974, elle est perçue par l'Etat pour le compte des communes, des départements et des établissements de coopération intercommunale à fiscalité propre. Elle sert à financer les biens et services publics au niveau des municipalités : les crèches, les écoles, les équipements sportifs et culturels, la voirie ... Pour Patrice Cahart, ancien directeur de la législation fiscale, la taxe d'habitation est "le seuil impôt citoyen par qui les habitants perçoivent l'évolution de la dépense locale. En détruisant cet indicateur, on inciterait aux comportements irresponsables".

Ce financement nécessaire des biens et services publics vient combler les défaillances de marché qui on été identifiées par Pigou dans son ouvrage "Économie du bien-être" : externalités, monopoles naturels, biens collectifs. Un bien collectif pur est un bien non excluable et non rival, qui risque de ne pas être produit ou offert spontanément par le marché eu égard aux comportements de passager clandestin ("free rider"), chacun comptant sur les autres pour contribuer à son financement. Une des premières définitions du passager clandestin est due à Hume (1898) : "Chacun cherche un prétexte pour se libérer des ennuis et de la dépense, et souhaiterait faire porter le fardeau à tous les autres". Comme la police, l'armée, la recherche, l'école ou encore la santé entraînent des externalités positives et de la croissance endogène, il est rationnel et efficace de contraindre les citoyens à les financer en usant du "monopole de la violence légitime" (Weber).

 La question de savoir si cette mesure fiscale est susceptible de contrevenir aux principes constitutionnels relatifs à l'autonomie financière et fiscale des collectivités locales (voir glossaire) ne sera pas traitée dans ce document.

3 - Le principe d'égalité devant l'impôt

L'égalité devant l'impôt a été reconnue comme un principe général du droit par le Conseil d'État et comme valeur constitutionnelle par le Conseil constitutionnel. Ainsi, dans sa décision n° 85-200 DC du 16 janvier 1986 article 17, le Conseil constitutionnel s'oppose à une rupture caractérisée du principe de l'égalité devant les charges publiques entre tous les citoyens.

Les deux sources du principe d'égalité devant l'impôt sont le principe d'égalité devant la loi posé à l'article 6 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 : "La loi doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse" et le principe d'égalité devant les charges publiques énoncé à l'article 13 de la même déclaration qui stipule que "Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés".

Pour bien clarifier ce principe d'égalité devant l'impôt, on peut également se référer au concept d'équité fiscale qui relève du domaine de l'analyse économique de la fiscalité. A côté de l'équité verticale qui caractérise la juste répartition de la charge fiscale entre des contribuables aux revenus différents, il existe l'équité horizontale qui repose à la fois sur l'égalité de traitement de tous les contribuables dont la capacité contributive (voir glossaire) est la même et sur la prise en compte par le système fiscal de certaines "caractéristiques" des individus autres que le revenu, qui ont un effet sur leur bien être.

A la lumière des principes évoqués précédemment, nous pouvons en déduire que la mesure du Président Macron qui consiste en une exonération de la taxe d'habitation pour 80% des foyers va à l'encontre des principes d'égalité devant l'impôt et crée une iniquité. En outre, l'exonération est basée uniquement sur les revenus du travail, sans prendre en compte le patrimoine. Pourquoi ne pas avoir conditionné l'exonération de la taxe d'habitation à la capacité contributive qui tient compte du niveau des revenus des agents économiques et de la valeur de leur patrimoine ? Certaines personnes vont être exonérées alors qu'elles possèdent un patrimoine non négligeable alors qu'une personne locataire qui ne dispose d'aucun bien immobilier mais de revenus quelque peu supérieurs au plafond fixé ne bénéficiera pas de l'exonération. Qu'en est-il de l'équité horizontale ? Cette injustice flagrante pose un problème encore plus large qui est celui de la taxation punitive des revenus du travail et des pensions de retraite.

4 - Conclusion

Le Conseil constitutionnel a validé la réforme sur la taxe d'habitation et écarté l'idée selon laquelle l'égalité devant les charges publiques ne serait pas respectée. Pour les fiscalistes Jean-Philippe Delsol et Virginie Pradel, cette réforme "instaure une différence de traitement entre les contribuables qui n'est absolument pas justifiée par une raison d'intérêt général". (...). De surcroît, le critère d'exonération est uniquement le revenu fiscal. La situation financière de chaque contribuable est évaluée de manière partielle, sans prendre en compte sa situation patrimoniale, ce qui manifestement interpelle. Comme le soulignent Jean-Philippe Delsol et Virginie Pradel, cette mesure fiscale "crée une rupture manifeste d'égalité devant les charges publiques entre tous les citoyens sans être fondée sur des critères objectifs et rationnels".

Nous conclurons cette étude avec une citation du professeur Jean Rivero : "Le pilier de l'égalité, à son sommet, s'épanouit et se diversifie, tels ces piliers de cathédrales qui évoquent la ligne du palmier, en un bouquet de nervures dont chacune support sa part de la voûte".

5 - Glossaire

Autonomie financière des collectivités locales : Capacité des collectivités locales à bénéficier de ressources propres dont elles peuvent disposer librement dans l'exercice de leurs compétences.
Le principe d'autonomie financière a été constitutionnalisée lors de la réforme du 28 mars 2003 par l'introduction dans la Constitution d'un article 72-2, mais son respect était déjà auparavant vérifié par le Conseil constitutionnel qui s'assurait que les règles posées par la loi "n'ont pour effet ni de restreindre la part des recettes ni de diminuer les ressources globales des collectivités concernées au point d'entraver leur libre administration".

Capacité contributive : Capacité estimée d'un contribuable, qui acquitte ses impôts, de financer une partie des dépenses publiques.
La capacité contributive a pour objectif de répartir le plus équitablement possible la charge fiscale entre les différents agents économiques, en tenant compte, du niveau de leurs revenus et, également de la valeur de leur patrimoine.

Charges publiques : Dépenses de l'État, des collectivités locales, des établissements publics et des régimes sociaux.

Collectivité locale (ou territoriale) : Personne morale de droit public distincte de l'Etat et bénéficiant à ce titre d'une autonomie juridique et patrimoniale.

Théorie de la croissance endogène : Théorie développée par Paul Romer (1986) et Robert Lucas (1988), qui est basée sur l'idée d'une croissance auto-entretenue, contrairement aux théories antérieures, notamment celle de Solow.

Les "quatre vieilles" : Impôts remontant à l'Ancien Régime qui englobent la taxe sur le foncier non bâti, la taxe foncière sur le bâti, la taxe d'habitation et la taxe professionnelle.

Principes généraux du droit : Règles qui ne résultent d'aucun texte écrit ayant valeur juridique, mais auxquelles le Conseil d'Etat reconnait valeur législative et même constitutionnelle.
La jurisprudence du Conseil constitutionnel distingue deux catégories de principes généraux : les principes "à valeur constitutionnelle" qui se rattachent normalement aux textes auxquels se réfère le Préambule de 1958, et les principes à valeur seulement législative.

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