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Catégorie : Nadia Antonin
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Le plus grand salon de l’industrie du commerce de détail aux États-Unis, le « NRF (National Retail Federation) 2022 retail’s Big Show » s’est tenu à New York du 16 au 18 janvier 2022. De retour en présentiel, le thème de l’édition 2022 s’est articulé autour du thème suivant : « L’accélération de l’avenir du retail » (« Accelerate »). Le but est d’aider les entreprises à s’adapter aux futures attentes du commerce de détail et de les accompagner au mieux dans leur transformation numérique. Un des sujets les plus brûlants abordés dans de nombreuses sessions portait sur le métavers.

Le concept « métavers » (« metaverse » en anglais) a été inventé par Neal Stephenson dans son roman « Snow crash » ( « Le Samouraï virtuel ») publié en 1992. L’auteur définit « métavers » comme un énorme monde virtuel, parallèle au monde physique, dans lequel les utilisateurs interagissent via des avatars numériques. En d’autres termes, Neal Stephenson décrit dans son ouvrage un « univers futuriste dystopique, auquel les personnages peuvent momentanément échapper en plongeant dans un univers de réalité virtuelle, dans lequel chacun peut évoluer à travers son avatar ».

Après avoir explicité le concept de métavers, nous en évoquerons les menaces et les dangers.

1. Le concept de métavers

Métavers, un mot valise, contraction du préfixe « méta » et du mot « univers », décrit un monde virtuel présenté comme « l’internet du futur ». Les particuliers, les entreprises, les organisations, les universités et les pouvoirs publics peuvent interagir via des avatars.

Dans un article collectif intitulé « Les métavers, dispositifs, usages et représentations », François-Gabriel Roussel en donne la définition suivante : « Univers numériques, accessibles uniquement en ligne (sur internet), ouverts simultanément à plus de 128 joueurs; ils sont persistants, c’est-à-dire accessibles 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, et continuent d’évoluer en permanence, sous l’action conjuguée des éditeurs de jeux et des autres joueurs ».

« Second Life » est le pionnier de métavers. Il s’agissait d’un « jeu » gratuit qui avait pour finalité « d’être une deuxième vie numérique pour les utilisateurs » comme le rappellent maître Gérard Haas et maître Gaël Mahé.

« Second Life » (« seconde vie »), l’ancêtre de métavers
En 2021, les projets métavers se sont multipliés mais ce ne sont pas des nouveautés. Lancé par l’entreprise américaine Linden Lab, « Second Life » est la toute première version de métavers. « Second Life », qui a connu un immense succès (apogée en 2007 avec 2,7 millions d’utilisateurs et un produit intérieur brut (PIB) estimé à 650 millions de dollars), offre à ses utilisateurs la possibilité d’avoir une seconde vie virtuelle sous une autre identité dans un monde numérique persistant. Après avoir créé son avatar numérique, on pouvait se rencontrer, se marier, participer à des événements, assister à des concerts, faire des achats ou des ventes, etc. Ainsi, lors d’une conférence, il nous a été rapporté qu’une personne avait divorcé dans le monde réel pour se marier sur « Second Life ». Des recherches menées en 2010 par Andreas Kaplan et Michael Haenlein, tous deux professeurs de marketing à ESCP Business School, révèlent que ces types de comportement résultent du fait que les utilisateurs considèrent ce monde virtuel non pas comme un simple jeu mais comme une extension de leur vie réelle. Les utilisateurs décrivent « Second Life » comme étant plus attrayante que leur propre vie réelle. Andreas Kaplan et Michael Haenlein ont identifié quatre motivations principales pour l’utilisation de ce monde virtuel : « la recherche de distractions, le désir de nouer des relations personnelles, le besoin d’apprendre, et le souhait et la possibilité de gagner de l’argent ».

« Second Life » appartient entièrement à ses utilisateurs qui sont dénommés « résidents » car ils habitent en quelque sorte dans ce monde virtuel. Ils peuvent y entrer via un programme client téléchargeable sous la forme d’avatars personnalisés. Le concept d’avatar n’est pas nouveau et a déjà été évoqué dans la littérature académique par Martin Holzwarth, Chris Janiszewski, et Marcus Neumann dans leur article intitulé « The influence of Avatars on Online Consumer Shopping Behavior (2006) et par Lis C Wang, Julie Baker, Judy A Wagner et Kirk L. Wakefield dans leur article « Can A Retail Web Site be Social ? (2007). Cela étant, cette notion d’avatar a évolué et « Second Life » offre aux résidents la possibilité de se bâtir une identité alternative qui peut être une réplique de leur identité réelle ou d’une autre identité.

Ce monde virtuel a sa propre économie et sa propre monnaie, le Linden. Au moyen de véritables devises, on peut acheter ou vendre des dollars Linden sur la bourse de change LindeX. L’économie de « Second Life » procure à un petit pourcentage de résidents un revenu net allant de quelques centaines à plusieurs milliards de dollars américains par mois. Les résidents peuvent acheter des terrains, y construire des propriétés , … Cet univers virtuel a même été utilisé par certaines entreprises pour recruter du personnel.

Métavers, le nouvelle marotte de Meta (anciennement Facebook)
Pour mémoire : l’entreprise Facebook s’appelle Meta mais le réseau social s’appelle toujours Facebook. Meta est le nom donné à la structure qui regroupe Facebook, WhatsApp et Instagram.

L’objectif de Mark Zuckerberg est de faire de Meta une société incontournable du « métavers » d’ici à 2026. A cette fin, il ambitionne de développer une sorte d’univers parallèle, auquel le grand public devrait pouvoir accéder grâce à des casques de réalité virtuelle qui vont permettre de s’immerger entièrement dans de nouveaux espaces en ligne en trois dimensions afin d’y effectuer différentes activités comme travailler, rencontrer des amis, jouer, aller à des concerts en ligne, … Comme le soulignent Gérard Haas et Gaël Mahé, le métavers ne sera que « la version Virtual Reality (VR) de ce qu’a déjà fait « Second life » […]. Pas vraiment une révolution donc mais bien une évolution d’un concept déjà existant ».

Meta a déjà mis en ligne Horizon Worlds, un premier aperçu de son futur univers numérique.

Le métavers présenté par Mark Zuckerberg inquiète. D’aucuns qualifient le projet « d’effrayant ». Ils voient dans ce projet, qui associe réalité virtuelle et augmentée, une nouvelle manière de collecter des données et de maintenir les utilisateurs dans un état de dépendance vis-à-vis de la plateforme. La parlementaire américaine Alexandria Ocasio-Cortez qualifie ce nouveau projet de « métastase d’un cancer pour la démocratie ».

Que signifie un tel développement pour notre société ? Est-ce souhaitable pour l’humanité ?

2. Les menaces et les dangers du métavers

Au-delà des risques purement politiques et juridiques, le métavers est source de nombreux sujets de préoccupations.

Pour le docteur David Reid, professeur en intelligence artificielle et en informatique spatiale à l’université de Liverpool, métavers risque d’aggraver considérablement les problèmes actuels liés aux médias sociaux et à internet en général, comme les questions de confidentialité et de cyberintimidation. Il confirme que « le métavers est semé de grands dangers et que l’humanité doit en prendre le contrôle avant qu’il ne soit trop tard ». De même, Roger McNamee, un investisseur de la première heure de Facebook est un grand critique du métavers. Il déclare : « Facebook ne devrait pas être autorisé à créer un métavers dystopique. Facebook devrait avoir perdu le droit de faire ses propres choix. Un régulateur devrait être là pour donner une approbation préalable à tout ce qu’ils font. La quantité de mal qu’ils ont fait est incalculable ».

Le risque de « maladie de la réalité virtuelle »
Concernant le casque de réalité virtuelle, certains chercheurs ont découvert qu’il peut provoquer trois catégories de symptômes : 1) la cybercinétose ou « mal de la réalité virtuelle » : pâleur, sensation de malaise, désorientation, maux de tête, troubles visuels, fatigue, vertiges, nausées, tachycardie, vomissements. 2) incongruences sensorielles : difficultés à retrouver son habileté manuelle optimale et à s’orienter dans le monde réel. 3) l’exposition aux rayonnements des écrans, en particulier à la lumière bleue qu’ils émettent, entraîne une toxicité rétinienne à court terme, contribue à la survenance de dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA) et des effets perturbateurs pour l’horloge biologique. Selon le psychiatre Dan Véléa, « le potentiel addictif de la réalité virtuelle apparaît en articulation avec la cyberdépendance, dans une intrication avec les « toxicomanes sans drogues » […] Les nouveaux mondes virtuels, représentent des refuges possibles et attractifs pour les personnes ayant du mal à communiquer dans un « face à face », ayant une dimension altérée temporo-spatiale […] Le développement d’une dépendance au monde virtuel, concomitant au « boom » des nouvelles technologies est l’expression de la « société de désinhibition » et des « maladies de la modernité » qu’évoque le sociologue Alain Ehrenberg.

Suppression de toute frontière entre réalité et virtuel
Alors que les réseaux sociaux et les jeux en ligne ont déjà été reconnus par les experts comme un danger pour les publics les plus fragiles, que penser du développement des mondes virtuels immersifs, les métavers ?

La réalité virtuelle est à l’origine d’un effet appelé le « sentiment de présence » : le sujet se sent présent dans le monde virtuel et interagit avec lui comme s’il était réel. Ainsi, avec métavers, les frontières entre le monde réel et le monde virtuel seront effacées petit à petit, encourageant une société de plus en plus déconnectée de la réalité. Les spécialistes de la santé mentale tirent la sonnette d’alarme au sujet des mondes virtuels qui offrent une vie parallèle mais irréelle. Pour la psychopraticienne Sylvie Bergeron, « les géants de l’informatique préparent un monde encore plus déshumanisé avec le métavers ». Elle présente le métavers comme « un univers parallèle virtuel déconnectant l’humain de l’organique, des relations humaines authentiques et de la réalité ». Par ailleurs, elle avertit que « derrière l’utilisation effrénée des écrans se profilent déjà le transhumanisme, l’homme augmenté, l’implant de puces au niveau du cerveau, … ». Gabriel Thorens, médecin adjoint aux services d’addictologie des hôpitaux universitaires de Genève, déclare que le métavers risque non seulement d’entraîner des comportements de dépendance mais aussi de renforcer la phobie sociale et l’isolement. Jeremy Bailenson, directeur fondateur du Virtual Human Interaction Lab de l’université de Stanford, s’est également penché sur les effets psychologiques de « vivre » une réalité virtuelle. Pour ce dernier, les utilisateurs auront moins de capacité à créer une version précise de soi.

D’après un sondage menée en 2021 auprès d’internautes au niveau mondial sur les dangers de métavers, près de la moitié des répondants perçoivent la dépendance à un monde virtuel comme la plus grande menace du métavers, suivie des problèmes liés à la vie privée et à la santé mentale.

antonin metavers

Source : Statista 2022

Les enjeux liés à une très large collecte de données
Le métavers constitue un nouvel espace de collecte de données. L’extension du domaine de la collecte pourrait s’avérer problématique si son développement n’était pas maîtrisé. Il faut s’assurer que les données collectées via métavers seront protégées en toutes circonstances.

Pour le Laboratoire d’innovation numérique de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), « en proposant une immersion « totale » et une intégration complète entre le terminal d’accès et l’univers de services et de contenus, le métavers réduit la capacité individuelle à échapper à la collecte de données ». Par ailleurs, toujours d’après la CNIL, « les interfaces et la manière dont nous habiterons les métavers seront-elles-mêmes de nouveaux moyens de collecter des données, toujours plus sensibles ».

Dans un article intitulée « La Libra ne sera pas la monnaie de demain » publié sur le site de l’Association Nationale des Docteurs ès Sciences Economiques et en Sciences de Gestion, je soulignais que Facebook continuait de gagner beaucoup d’argent en raison de sa collecte de données qui allait encore s’amplifier grâce au projet Libra. Comme d’autres géants du numérique, Mark Zuckerberg a bâti sa fortune sur la monétisation des données personnelles sans en garantir la sécurité. Eu égard à son utilisation déplorable des données personnelles, Facebook a fait l'objet d'une grave crise de confiance après une série de scandales. Il est dans le collimateur de la Commissaire européenne à la concurrence pour sa collecte et son utilisation des données. La mise en place de métavers par Meta va entraîner une collecte de données accrue de la part de ce géant américain du numérique . Avec ce projet de Meta, quid de l’apparition de nouveaux dangers quant à nos données personnelles ? Aurélie Jean, spécialiste en intelligence artificielle, qui a publié « Les algorithmes font-ils la loi ? » met en garde sur le projet de Meta. Elle écrit : « Ce que fait Facebook aujourd’hui […] qui est d’aller collecter des informations, des données sur nos comportements sur la plateforme à travers ce qu’on aime, ce qu’on va commenter, comment on va le commenter, à qui on va être connecté …là, il va pouvoir le faire à un degré supérieur à travers des relations sociales complètement virtualisées. Donc on va pouvoir collecter de l’information en temps quasi réel sur nos comportements ».

Enfin, la création d’un métavers va conforter la technique frauduleuse consistant à diffuser des informations personnelles concernant un tiers, sans son consentement et dans l’intention de lui nuire. Les anglo-saxons désignent cette pratique par le terme « doxing » que nous traduisons par « divulgation de données ».

3. Conclusion

Certains avancent l’idée selon laquelle le métavers est une « innovation technologique de tous les dangers ». Les graves menaces et les risques que nous avons évoqués dans le présent article n’est que la partie émergée de l’iceberg.

Le métavers correspondant aux préoccupations du moment, il représente une cible parfaite pour les pirates. Dès lors, les mesures de sécurité mises en place vont-elles être suffisantes pour empêcher des nouvelles forme de cyberattaques sans précédent ?

Les développeurs de métavers recourent à la technologie de la chaîne de blocs (blockchain) afin de sécuriser les informations des résidents dans le métavers. Toutefois, de nombreuses attaques sont observées sur des environnements de la chaîne de blocs et les fraudes s'élèvent à plusieurs dizaines de millions de dollars ou d'euros. De plus, l'adoption à grande échelle de cette technologie se heurte à des problèmes de règlementation, de gouvernance, de régulation, de confidentialité et d'anonymat des échanges, de mode de preuve, etc.

Les défis juridiques majeurs du métavers témoignent de la nécessité absolue d'encadrer cette nouvelle technologie par un cadre sécuritaire quasi infaillible. A cet égard, la commissaire européenne Margrethe Vestager veut analyser le Métavers avant de prendre des mesures pour le réguler. Face aux enjeux et aux défis du métavers, il ne faut pas tarder !

4. Glossaire

Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) : Autorité administrative indépendante instituée en 1978 chargée de veiller à ce que l’informatique ne porte pas atteinte aux libertés, aux droits, à l’identité humaine ou à la vie privée.

Donnée personnelle : «Toute information relative à une personne physique identifiée ou qui peut être identifiée, directement ou indirectement, par référence à un numéro d'identification ou à un ou plusieurs éléments qui lui sont propres». (Source : article 2 de la loi informatique et libertés).

Géant du numérique : Entreprise numérique ayant entre autres un pouvoir de marché gigantesque et une forte capitalisation boursière.

Réalité augmentée : Procédé permettant de superposer à des éléments bien réels des éléments numériques en 2D ou en 3D via divers supports comme les écrans de smartphones et de tablettes ou lunettes connectées par exemple.

Réalité virtuelle : Technique qui plonge l’utilisateur dans un monde virtuel où les données, qui s’y présentent, lui donnent l’illusion qu’il s’y trouve « pour de vrai ». Ce sentiment est nommé immersion.

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